First Man brille de mille feux en dépassant le simple postulat biographique et historique pour livrer une réflexion bouleversante de justesse sur le deuil d’un père suite au décès de son enfant. Car tout le film réside dans un plan – magnifique au passage – où un Neil plongé dans les ténèbres observe depuis son petit télescope la masse lunaire, incolore et inerte : cette lunette c’est le vaisseau c’est le véhicule adéquat pour une descente en soi-même, ce corps gris et mort c’est son cœur à jamais meurtri.
Toute l’expédition spatiale n’est en fait qu’une vaste métaphore filée, celle d’un long cheminement existentiel au terme duquel le deuil sera (on l’espère) effectué ; comble de l’ironie, Armstrong s’envole hors de l’atmosphère pour mieux plonger en lui. Dans les deux cas, manque d’air et vertige. Conflit également entre illusion et désillusion, enchantement de l’inconnu et désenchantement du monde finalement connu puisque considéré par la lorgnette humaine (Chazelle insiste justement beaucoup sur le regard du cosmonaute). D’où l’effervescence musicale lorsque le vaisseau se pose : notre héros espère enterrer là sa fille et reconstruire son existence. Erreur : depuis la Lune s’exhibe une Terre devenue lunaire, en forme de croissant. Quête marquée du sceau de la fatalité et du perpétuel inachèvement. Alors Neil retrouve sa femme dans le même état que lorsqu’il était parti ; si l’espace ne les sépare plus désormais, une vitre transparente brise la communion conjugale comme signe de l’impossible pansement des plaies. Il fallait l’intelligence de Damien Chazelle pour briller aussi bien dans le scénario et ses thématiques que dans la mise en scène qui oscille entre intimiste et flamboyante.
Deux petits reproches toutefois : la volonté de filmer la vie privée en caméra à l’épaule, volonté farouche et assez balourde de se démarquer du cadrage parfait de La La Land ou Whiplash. La systématisation du procédé agace au bout d’un moment. Enfin, le contexte historique, avec notamment ses conflits raciaux et politiques, n’est évoqué que par un plan servant davantage à rythmer le récit qu’à développer la toile de fond ; sorte de passage obligé qui, par conséquent, réduit les crises à un simple décorum. Pour le reste – et quel reste ! –, First Man met en scène un homme revenu à son origine première, à sa solitude fondamentale face au monde (d’où le titre), pas n’importe quel homme puisqu’il s'agit de Neil Armstrong et est interprété par Ryan Gosling au jeu troublant, fascinant, bouleversant. Sublime et subtile composition musicale de Justin Hurwitz. Une très, très grande œuvre magnifiquement spatiale et terriblement humaine.