(Dossier d'esthétique rédigé le 14/04/21)


Production dramatico-burlesque de l'été 2020, Felicità, réalisée par Bruno Merle, narre le retour de vacances turbulent d'un couple (interprété par Pio Marmaï et Camille Rutherford) adepte de blagues puériles et de leur petite fille Tommy (interprétée par Rita Merle), plus rigoureuse, souhaitant plus que tout réussir sa rentrée scolaire. Le voyage sera d'autant plus mouvementé qu'il sera un biais auprès de l'enfant pour découvrir les travers du vécu de ses parents, et la part de vérité dans chacune de leurs plaisanteries.


Tour à tour voyage initiatique urgent s'appuyant sur une trame classique formatée d'un point A vers un point B et road movie gaillard et rassis, dans quelle mesure Felicità combine deux facettes fondamentales du genre road movie ?



Un road movie audacieux, mélange de genre



Situé à mi-chemin entre Bonnie et Clyde et Little Miss Sunshine, le film de Bruno Merle, euphorisant et entreprenant, est une réponse excentrique à l'horizon d'attente générale du road movie, étant essentiellement nourri de films de traque et de vacances. Sans jamais tomber dans l'écueil du film familial surdosé de tous les registres possibles au point d'en devenir illisible, Felicità a pour principal atout son récit complètement désordonné et infidèle au dogme, et ce sans renoncer à aucun moment à cette patte graphique inimitable à base de mises en abîme et d'effets de mise en scène divers et variés.


La force majeure du film repose principalement sur une narration hétérogène, qui concilie les deux vertus contraires omniprésentes au sein du film de route: sa facette rigoureuse, symbolisée par Tommy, jeune fille intelligence, pleine de vie et sérieuse ayant bien en vue la réussite de sa rentrée en 6ème ; et sa facette plus transgressive, trouvant ses prémisses dans les bribes d'humour par l'exalté couple Tim/Chloé. D'humeur détente revendiquée, il n'est guère sans rappeler le couple hors-la-loi mis en scène par Arthur Penn en 1967 pour ses nombreux non-dits et frasques en tout genre auxquels ils sont en perpétuelle fuite (en témoigne l'affiche du film, exposant la petite famille à la file indienne et avançant accroupie). À leurs côtés, une Olive Hoover à la française les observant et commentant en toute subtilité, dont chaque fait et geste donne un grand coup de fouet à l'intrigue. Dans cette mesure, c'est un véritable mode d'existence qui lui est exposé : celui du mensonge, de la cavale du père à la maison séjournée incognito. L'enfance pourrait alors bien se résumer à la confrontation à ce tissu de non-dits, privant la vérité d'être prononcée.


Le tube eighties éponyme interprété par Al Bano et Romina Power, à l'image du pitch, expose une quête du bonheur en collectif. Parfois plaisant mais souvent poussif, l'usage de la musique aurait pu bénéficier d'un traitement de faveur au même titre qu'un El Condor Pasa dans Wild (2014) ou Born to be Wild dans Easy Rider. Ces deux-là sont entendus ou interprétés à tue-tête tout le long des films, en tant qu'hymnes de leurs protagonistes. À la place, le film de Bruno Merle se sert davantage des jeux symbolistes autour du casque pour exposer un certain auto-ostracisme de la part de la fillette ; l'interdiction de pénétrer dans sa bulle nous est montrée par le silence total dès lors qu'elle le porte, à l'image du cadenas ornant la porte du grenier de la maison squattée par la famille et qui éveille tant la curiosité de la jeune fille. En outre, le morceau éponyme est employé au cours d'une seule et unique occurrence pour exposer les rêves et désirs du couple, mis à rude épreuve.



Mais aussi, un nid d'influences



L'ensemble du film est constitué de nombre de plans généraux, ornés de très beaux paysages rennois faisant la part belle à des références multiples (notamment le plan fabuleux sur Tommy, alors oppressée par l'autorité parentale, se précipitant au travers du champ, rappelant ainsi un plan fameux de Forrest Gump où le personnage éponyme encore enfant se cache avec sa bien-aimée Jenny). Une photographie de film américain trait pour trait, évoquant pour la même occasion le film de traque, personnifiant le monde extérieur comme nocif à l'Homme alors qu'il n'en est rien tant que celui-ci assume son imperfection et la responsabilité de ses faux-pas. C'est par ailleurs toute l'essence de ce rebondissement final: la petite fille vaillante a su affronter l'épreuve de la rentrée des classes ; son papa, son modèle, n'a su affronter les démêlés judiciaires du passé et se retrouve arrêté juste devant elle. Celui ci s'en retrouve contredit, lui qui, la veille, lui enseignait :



Les gens normaux,
ça cache quelque chose.



Formellement, autant qu'esthétiquement, Felicità respire l'influence état-unienne road movie. Au même titre que le couple de Sugarland Express de Spielberg (1974), le déplacement des personnages est sans cesse mis à mal et donne un effet d'errance. La séquence fantaisiste imaginée par Tommy, à l'écoute d'un cosmonaute interprété par Orelsan, expose les différentes voies proposées à la jeune fille, en réinvestissant une plaisanterie réalisée par Tim au début du film.


Tout ce petit monde n'évolue non pas par le dialogue (bien peu présent, au bout du compte), mais par une suite de pertes, de retrouvailles, de reconnaissance: en somme, à l'image de cette anormalité revendiquée par Tim, des retrouvailles dans le strict sous entendement. Est ainsi mis à mal la narration explicite classique, certes souvent efficace (notamment dans Rain Man, relatant une conflictualité fraternelle mystique) mais finalement assez convenue.
La portée symbolique de la route s'avère somme toute ce qu'il y a de plus folklorique: un espace parsemé d'embûches, à l'égard du train de vie (assumer que les vacances sont finies et repartir à l'écoute pour l'enfant, et assumer sa responsabilité parentale en assumant ses frasques pour les parents). La voiture volée est un exemple d'élément physique prenant tout son sens lorsque les personnages voient le trajet tourner à leur désavantage: en plein milieu du trajet, Chloé disparaît sans laisser de traces et demeurant injoignable (pour finalement réapparaître une vingtaine de minutes plus tard annoncer sa grossesse). Un format favorable à sa dose de suspense et d'épreuves, à travers de longues séquences souvent silencieuses, au service d'une quête identitaire semblant s'inspirer de Paris, Texas.


En seulement 80 minutes, Felicità convoque deux formes du road movie au rendu final formellement convaincant, au service d'un fond un peu plus classique mais n'en demeurant pas moins plaisant. Le genre aventuresque né aux États-Unis vraisemblablement dans les années 60 s'en trouve remodelé narrativement en conciliant cavale criminelle quête existentielle enfantine, s'adressant efficacement à tous publics, tout en maintenant un discours encore très calibré vers le cinéma américain.

Créée

le 24 juil. 2021

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