The Frighteners [Director’s Cut], Peter Jackson, Nouvelle-Zélande, 1996, 2h

Lorsque l’un des cinéastes américains les plus passionnants des eighties (et ils ne sont pas si nombreux…) et du début des nineties croise la route de Peter Jackson et de Fran Walsh, en résulte l’une des productions les plus atypiques de la fin des années 1990. Le contraire aurait été étonnant. Auréolé du succès phénoménal de « Forrest Gump » en 1994, il décide de produire le scénario de Jackson et Walsh, originellement prévu comme un épisode de « Tales From the Crypt », dont il est co-producteur


« The Frighteners » réunit Robert Zemeckis et Michael J. Fox (dont c’est ici le dernier rôle dans un film en tant que tête d’affiche), un duo ayant opéré des miracles avec la trilogie « Back From the Future » (réévaluez le troisième volet, s’il vous plait !). Un producteur de renom, une star reconnue, un cinéaste virtuose, une scénariste passionnante et un casting à tomber par terre, tout est assemblé pour signer l’une des productions les plus extra de la décennie. Et pourtant… Initialement prévu pour le 31 octobre 1996 (ce qui pour un film d’horreur/épouvante semble plutôt logique), le distributeur opta pour une sortie estivale, contre l’avis de Jackson et Zemeckis. Le film sort ainsi en face de « Independance Day » (plus gros succès de l’année), « The Rock » (quatrième succès de l’année) ou encore « A Time to Kill » (8e), des productions qui rapportent entre 100 et 300 millions de dollars.


Forcément, face à ces mastodontes, cette petite co-production néo-zélando-américaine (intégralement produite en Nouvelle-Zélande, mais avec des fonds principalement étatsuniens) ne pouvait rivaliser. Sur un budget estimé à 30 millions de $, elle rapporte à peine 16 millions de $ aux États-Unis (et 29 millions dans le monde). C’est un échec. Pourtant, ce film demeure absolument génial, et possède tout pour combler un plaisir de cinéma fun et débridé. Ses limites résident cependant dans une oscillation des genres, qui ne trouve jamais vraiment de stabilité. Entre comédie, épouvante, horreur et une sorte de gore mainstream (oui oui), c’est un métrage qui s’adresse un peu à tout le monde et à personne en même temps, ce qui peut créer de la confusion.


Avec un visuel très américanisé, la mise en scène de Peter Jackson semble avoir été particulièrement influencée par sa collaboration avec Robert Zemeckis, le film ressemble en effet à une production hollywoodienne typique du milieu des années 1990. Le fait qu’il soit intégralement tourné en Nouvelle-Zélande, alors que l’histoire se passe aux États-Unis, offre cependant un décalage unique, par une démarche finalement assez proche du délire de Kad & Oliver « Mais qui a tué Pamela Rose ? » (oui oui). On s’y croirait, pourtant ça ressemble à une petite ville portuaire tout droit sortie d’un autre pays. Et pour cause… Ce mélange des plus atypiques confère un charme fou à l’ensemble.


Michael J. Fox, dans une variation dépressive de Marty McFly, incarne Frank Bannister, un architecte qui après un accident de voiture, ayant coûté la vie à sa bien-aimée, réalise qu’il peut communiquer avec des fantômes. Il en profite pour monter une espèce d’arnaque et se faire un peu de thunes au passage, jusqu’à ce que ça se retourne contre lui et qu’il se retrouve au cœur d’un jeu de massacre dont il apparaît comme le coupable idéal. Le récit débute avec une tonalité de comédie réussie, puisque c’est drôle, puis plus il avance et plus ça devient sombre. Si le métrage n’oublie jamais d’être fun, même lors de séquences particulièrement dramatiques, cela ne l’empêche pas de servir un propos, dont les thématiques se révèlent très proches de « Braindead » et de « Heavenly Creatures ». À savoir, la romance passionnée et l’horreur la plus pure.


Car « The Frighterners » n’est finalement rien d’autre qu’une variation des précédents travaux de Peter Jackson et de Fran Walsh : le résultat d’un croisement entre « Braindead » et « Heavenly Creatures ». Cela aboutit à une œuvre très riche, où l’épouvante se subtilise au gore et les fantômes aux zombies. Le métrage ressemble en effet à s’y méprendre à une version presque tout public de « Braindead », Peter Jackson utilisant même des décors similaires et une mise en scène qui rappellent son chef-d’œuvre extrême. D’ailleurs, le film connut de grandes difficultés face à la censure américaine, et fut classé R, malgré tous les efforts de Peter Jackson et Robert Zemeckis pour en faire un PG-13. Le Director’s Cut disponible depuis quelques années existe non pas en opposition au producteur exécutif, mais bien comme alternative vidéo au filtrage puritain du MPAA.


Il est compréhensible que ce mélange des genres, peut-être pas toujours maîtrisé, semât la confusion vis à vis du producteur et une star ayant proposé une trilogie familiale et un duo de scénaristes ayant œuvré dans le gore. Pourtant, avec les années, force est de constater que de ce croisement résulte un pur plaisir de Cinéma. Tellement le film sort des sentiers battus, et se joue avec délectation de tout un pan de la culture horrifique, étendu à un folklore international, puisque dans chaque civilisation il existe un tas d’histoires de fantôme et de grande faucheuse. Car, tenons le pour dit, l’esprit malveillant qui sert d’antagoniste au récit, ressemble à s’y méprendre à l’Ankou breton…


De plus, le film est desservi par un panel de comédien.nes, tout aussi extraordinaires que complémentaires. Outre Michael J. Fox, qui demeure un acteur toujours sympathique à retrouver (et qui manque cruellement !), la bin trop rare Trini Alvarado lui donne la réplique, composant un personnage qui aurait pu se contenter de combler un simple cliché. C’est sans compter sur le talent de scénariste de Fran Walsh et Peter Jackson, qui en connaissent un rayon niveau conventions cinématographiques. Elle s’affirme dès lors en solide second personnage du récit, loin de la veuve éplorée et fragile, proie lambda du grand méchant et qui ne sert à rien. Un personnage féminin comme il y en avait encore assez peu en 1996.


Inutile de se lancer dans un tour d’horizon détaillé, long et fastidieux, du casting, sans grand intérêt, puisqu’autant regarder le film pour le réaliser. Mais, il est impossible de passer à côté de la performance hallucinée et hallucinante du légendaire Jeffrey Combs, Herbert West himself, dans une composition hors-norme. Milton Dammers est un agent du FBI spécialisé dans les affaires occultes, habitué des missions d’infiltrations, qui lui ont complètement fusillé les connexions cérébrales permettant à chaque être humain d’être relativement équilibré. Si le personnage s’avère totalement en roue libre, l’interprétation de Combs elle, atteint une magistralité burlesque. Il apporte un grain de folie (gros comme l’Himalaya hein !) qui appuie la tonalité cartoonesque de « The Frighteners ». Car il se trouve là le nerf de la guerre, ce film n’est rien d’autre qu’un cartoon live totalement débridé, de sa séquence d’introduction démente à son final obscuro-funky.


Le mélange des genres s’avère finalement l’attrait principal de ce petit film sans prétention, autre que de divertir. C’est là un divertissement comme le cinéma populaire nous en offre assez peu (encore moins depuis ces vingt dernières années, où il faut aller chercher des petites productions de niches pour se sustenter). Cette expérience généreuse et fun peut être appréciée à plusieurs degrés de lecture, puisqu’elle se destine à plaire au plus grand nombre, garantissant rires et frissons. Le tout est emballé comme un produit hollywoodien calibré, ce qu’il reste dans sa forme, bien que fondamentalement c’est une œuvre cinématographique d’une richesse peu comparable avec les autres représentants d’un genre cantonné au milieu des années 1990. Puisque l’on pourrait citer l’excellent « Tales From the Crypt : Demon Knight » d’Ernest Dickerson sorti un an plus tôt, et qui joue exactement sur le même genre de partition. Certainement là l’héritage immédiat de la série « Tales From the Crypt ». La boucle semble bouclée.


-Stork_

Peeping_Stork
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le 7 janv. 2022

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Peeping Stork

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