« Ce fut une paisible transition »

Tout d'abord je dois poser le décor. Une porte s'ouvre à Macao. Quelques plans suffisent pour animer tout un imaginaire à l'aide d'un paysage très cinématographique, du moins le gros travail sur la photo se fait ressentir. Cela donne envie d'explorer les recoins de cette ville, mais l'heure est aux retrouvailles.
Dès le début la mise en scène est très soignée, sans tomber dans le tape à l’œil on est frappé par cette sécheresse tout droit sortie de westerns crépusculaires que l'on imaginerait pas trouver dans ce coin du globe et à cette époque.
Dès le début la tension monte, la bouilloire ne tient plus, les duels sont chorégraphiés au millimètre, c'est un pur plaisir, on a l'impression là aussi qu'un petit bout de Western d'Italie s'invite dans le film noir de Triades Hong-Kongaises. Ainsi c'est de la meilleure des manières que commence ce film. Cependant par rapport à ce qui suit, ce règlement de compte d'introduction à beau être virtuose et impressionnant, il apparaîtrait presque finalement comme un « simple » jeu entre amis qui ont grandi trop vite.


Très vite, quelques petites scènes un peu plus légères suffisent pour nous faire vivre l'amitié profonde qui lie les cinq amis sur qui l'histoire est centré. Quelques minutes, très peu de dialogues, mais après cela moi aussi j'ai l'impression d'avoir grandi trop vite avec eux. Je connais leurs caractères et leurs petits tics absurdes. Tout au long du film, des moments de complicité de la sorte font ressentir les liens qui les unissent par des choses aussi bêtes que la préparation d'un repas, l’emménagement d'une maison ou encore leurs tentatives abracadabrantesque de s'imaginer concrètement une tonne.


Bien sûr dans la construction du film on retrouve les codes du film de triade et les fusillades, la violence, le sang, la vengeance et le rapport à l'honneur qui vont avec. Johnnie To ne néglige aucun détail, même dans la part de hasard qu'il laisse pour ne pas avoir un récit trop mécanique. Ceci afin de donner de la profondeur à une histoire qui à la base dans sa structure est certes relativement simple. De cette manière il essaye de tirer le meilleur des codes du genre, à l'image de la fusillade d'introduction qui pose le décor.
Le film doit aussi beaucoup à ses excellents acteurs principaux, le réalisateur reprenant en grande partie les même que pour The Mission, un de ses précédents films, assez proche d'Exilé par certains aspects, mais en rajoute aussi quelques autres de qualité.


Puis comme dirait l'autre : « Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes ».


Si Exilé est de très bonne facture dans sa manière de raconter son histoire, s'arrêter à cela serait du gâchis, ce serait rester en surface du film et rater l'essentiel. Exilé est traversé d'une mélancolie profonde imprégné en lame de fond par Johnnie To. Ce long métrage est à ce titre d'une certaine manière la suite désenchanté d'un The Mission plus léger à tout les niveaux.
Exilé est souvent comparé aux westerns crépusculaires, à mon avis cette comparaison peut aller bien au delà des duels. En effet si les westerns crépusculaires parlaient de la fin de l'ouest sauvage Américain et de l'arrivée de la démocratie d'un œil mélancolique et désabusé, ici Exilé nous parle de la rétrocession, ou plutôt des rétrocessions, avec un sentiment mélancolique, un peu amer et désespéré. Par la manière de montrer l'évolution des triades dans Exilé, il y a cette impression que malgré tout ces changements largement exprimés dans le film, au fond tout reste un peu pareil pour le pire. Qui est en haut de la hiérarchie n'a au fond que peu d'importance. Les limites entre chef de la police et chef de Triades semblent d'ailleurs peu étanches. Et qui est en bas se débrouille comme il peut.
Au milieu de tout cela des sentiments comme l'amitié profonde que se portent les personnages principaux du film les uns pour les autres, ou l'amour moteur de celui qui était en fuite à vouloir arrêter de fuir et fonder un foyer au mépris des risques, apparaissent comme désuets, obsolètes, profondément précaires, inadaptés aux changements de ce monde, aussi absurdes qu'un lancer de pièce au milieu de nulle part pour déterminer sa direction. Il y a ce sentiment que la fuite est très difficile voire un peu illusoire au fond. Le tout est accompagné d'une musique illustrant parfaitement cet état d'esprit profondément mélancolique, sans être trop envahissante.


Toute cette mélancolie, c'est aussi le symbole d'un cinéma de genre Hong-Kongais qui au moment de la sortie d'Exilé se délite, peu à peu, presque inexorablement et n'est déjà plus que l'ombre ce qu'il était avant la rétrocession. A ce niveau aussi l'époque à changé.


« Pourquoi revenir ? »


Au fond si je poste cette bafouille, peut-être un peu maladroite, c'est simplement comme un témoignage de mes fortes impressions à chaque visionnage de ce film, une grande facette cinéma de genre HK tel que je l'aime, le tout habité par une mélancolie crépusculaire qui en fait le reflet de son époque.

Noe_G

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7
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