C'est quand même un beau concept, le multivers et les possibilités infinies qui vont avec. On ne se doute pas de quoi les choses peuvent partir, ce qu'elles peuvent devenir et ce qu'elles auraient pu être. Exemple concret :



  • Je pourrais me contenter de dire que Everything Everywhere All at Once est bien la vaste fumisterie crainte de beaucoup, un film qui m'a énervé et dont je n'ai plus envie de parler, sans poursuivre cette critique. Ce faisant, je pourrais consacrer mon temps à me lancer dans l'écriture d'un roman, qui pourrait être publié à grande échelle et devenir un succès mondial (il s'appellerait "Un ornithorynque à Central Park"). Je pourrais vivre dans le luxe, et mourir tranquillement dans mon lit à un âge respectable, de cause naturelle.


  • Ou bien je pourrais chanter les louanges de ce film, ce qui pourrait conduire quelqu'un à passer son temps à pester contre mon avis, sauf que cette personne pourrait être un physicien amené à calculer l'arrivée d'une énorme météorite qui nous détruira tous, afin de l'anticiper et de la contrer, mais elle ne consacrera pas son temps à cela et nous serons tous exterminés.



Bien que la 2e perspective ne soit pas celle qui m'enchante le plus, c'est la plus raccord avec ce que je pense réellement du film. Mais voyez déjà comment c'est beau, ces multitudes de possibilités dépendant de nos actes présents.


Et ces multitudes de possibilités forment cet everything. Cet everything, c'est aussi le film en lui-même. Il y a (presque) absolument tout, un chaos foutraque du début à la fin qui ne se prive pas de contenir autant que possible, accumulant les genres et les médiums, et transcendant la pellicule si l'envie lui prend.


Everything, c'est aussi l'image utilisée pour décrire le film. Est-ce que c'est un nanar qui croit faire de l'art ? Est-ce qu'il s'agit d'une des œuvres les plus barrées portées à l'écran par l'homme ? Est-ce que c'est une succession aléatoire dans sa ligne directrice et dans son style ? Est-ce que c'est tout autre qualificatif plus ou moins élogieux qui pourrait être fait à son encontre ? C'est tout cela à la fois. All at once.


Mais c'est aussi ça, le multivers. Il est impressionnant de constater le nombre d'œuvres traitant du multivers qui n'osent pas réellement montrer que tout est possible. Il y a peut-être bien un univers alternatif où je suis essentiellement la même personne, sauf que j'ai 2000 abonnés sur SensCritique (et dans ce même univers alternatif, SensCritique n'est pas dans le triste état qu'il présente actuellement). Et il y a peut-être aussi un univers alternatif où je suis un cube violet vivant dans un monde intégralement géométrique, peuplé de formes.


Ou un autre univers où je suis une tumeur au cerveau.


Il faut bien cet everywhere pour constituer cet everything et l'ériger en nouveau Wackyland, arborant le caractère complètement imprévisible qui donne son identité à ce lieu provenant des Looney Tunes. It can happen here. And it does. Une grosse boule de démence où absolument tout est permis. Et c'est ça que je veux voir dans cette exploration de l'infinité de possibilités pouvant partir de l'effet papillon. Montrer qu'il peut y avoir une alternative où l'on devient champion de kung fu en mettant ses doigts dans la prise électrique. (Ne faites pas ça chez vous, les enfants.)


Certainement, les sessions de brainstorming devaient être amusantes pour ce machin. Surtout en décidant de le croiser avec un délire digne de Marvel, esthétique visuelle typique incluse, qui se retrouve superposé à cause d'une faille spacio-méta-scénaristique avec une histoire terre-à-terre.


Marvel adore contrebalancer ce qui se rapproche le plus d'enjeux dramatiques avec de l'humour, c'est bien connu. Mais c'est pas Marvel qui a les cojones d'emmener la violence vers des territoires aussi ridiculement ludiques où tout peut servir d'arme durant la baston, de l'auriculaire au godemichet en passant par le toutou de compagnie, sur fond de l'ouverture de Guillaume Tell, avant de marquer une cassure nette où la violence devient réellement émotionnellement palpable, où la meilleure façon de se battre contre une personnalité antagoniste, c'est par les mots et les plaisirs de la vie. Il n'y a plus de zigzags, le rire embrasse complètement les larmes au cours d'un mariage improbable.


Car c'est en suivant l'approche cracra joueuse du multivers digne de Rick et Morty que le film se mue en sa némésis.


Vous réalisez que dans ce grand everything, vous n'êtes qu'une version de vous-même parmi une infinité d'autres qui sont, qui ne sont pas, qui pourraient être, qui ne seront jamais. Vous repensez à tous ces choix faits dans votre vie qui vous ont conduit là, à ceux que vous auriez pu faire pour atteindre le vous d'une réalité alternative paraissant plus séduisante. La crise existentielle emmenant son lot de regrets, de dilemmes, amenant l'impression d'être personne vers les extrêmes, une version remplaçable de vous-même parmi toutes celles peuplant cette infinité d'univers parallèles.


C'est un très grand multivers, mais nous sommes des gringalets, pas plus gros qu'un grain de poussière, presque d'la taille de Mickey Rooney...


Et lorsque vous décidez que nothing matters, lorsque le vase se met à déborder sur toutes vos versions de vous-mêmes, lorsque vous souhaitez vous perdre aspiré par le néant dans le trou du bagel qui constitue cet everything (Benoît Blanc avait presque raison), finalement, c'est la simplicité désarmante qui reprend ses droits et pourfend le nihilisme. La valeur unique de l'être humain est ainsi également poussée vers les extrêmes, vous aurez toujours un petit truc que les autres versions de vous-même vous envieront. Au bout du compte, avec cette odyssée multiverselle au message tout ce qu'il y a de plus universel, le film encourage à tirer le meilleur parti du soi qui existe, à rester concentré et à ne pas se laisser distraire par les what if du passé, les versions parallèles à gogo, les prophéties super-héroïques déraisonnées. A l'image des délires du film qui, par leur décalage volontaire, épousent génialement son cœur.


Par ce dernier nothing matters, finalement, everything matters.


Il fallait bien une telle succession de climaxes pour capter toute la polyvalente complexité de l'amour humain et accentuer son humble optimisme. Une envie de prêcher la volonté du "be kind" qui paraîtra nunuche mais que je prends personnellement volontiers dans un contexte actuel aussi cynique. Alors peu importe que vous soyez un homme ou une femme, un arbre ou une girafe, une planète ou une piñata. Be kind.


On pourra aller à l'encontre de la moyenne astronomique du film et me reprocher une extrême indulgence, envers de l'anti-cinéma confondant la créativité pure et le WTF gratuit, que seul un public au cerveau lavé par Marvel serait capable d'apprécier.


Tout cela n'a aucune importance.


J'suis un caillou...

NickCortex
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le 2 sept. 2022

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