L'erreur a été de prendre trop au sérieux cette histoire de ménage à quatre, qui n'est rien d'autre, après tout, et comme le film a la lucidité de le reconnaître lui-même au début, qu'une petite tragédie bourgeoise. La mise en scène de Yoshida est sublime, absolument maîtrisée, d'une précision géométrique ; elle magnifie ce petit drame, en transmet toute la cruauté. Mais elle ne tient pas sur la longueur, et l'intérêt s'amenuise à mesure que le drame démontre qu'il est par trop restreint, trop minimaliste et exclusivement limité à ses personnages.


La vraie chance du film, le centre qu'il lui aurait fallu réellement adopter, c'était ces deux étudiants perdus, déboussolés, et désespérés. Les moments qui leur sont consacrés sont à chaque fois éblouissants ; le langage empesanti de théorie du quatuor anarchiste, tout à coup, laisse place à un autre, désarticulé, éclaté, diffracté ; la cohérence semble ne plus avoir cours, on se laisse aller à des éclats complètement absurdes ; un cynisme incompréhensible, une cruauté, s'empare des personnages. C'était eux qu'il fallait suivre, leur histoire qu'il fallait approfondir, car c'est dans ce petit couple que la petite tragédie du quatuor trouve une véritable résonance ; c'est dans leur abandon et leur désarroi que la virtuosité plastique de la mise en scène, cette débauche écrasante et oppressante de moyens stylistiques, trouve sa vraie justification. Le vrai drame se joue non en ce début de XXème siècle, mais un demi-siècle plus tard, à la fin des années 60, quand une jeunesse errant dans un désert abstrait et froid, fait l'épreuve d'une intolérable absence, scandaleuse et insupportable ; quand cette jeunesse échoue à collecter des fragments de passé qui tout à coup lui parleraient ; quand elle se découvre inapte à se retrouver dans les drames qu'ont pu vivre ses aînés, et acte d'une scission qui se révèle avoir la profondeur d'un abyme. Oui, à ce moment-là, l'esthétique géométrique, arithmétique presque, acquiert une véritable force de frappe, elle nous fait ressentir quelque chose de la violence de cette époque, dénudée, étrangère, anonyme.


Mais autrement, elle ne fait qu'épuiser les ressources déjà bien maigres d'un drame sans grande envergure...

Créée

le 12 avr. 2020

Critique lue 117 fois

1 j'aime

Critique lue 117 fois

1

D'autres avis sur Eros + Massacre

Eros + Massacre
Aurelien-Real
9

Splendeur et surprise du cadre

Spectateur ou réalisateur, ce qui nous porte avant tout vers un geste cinématographique, n’est-ce pas cette vastitude des moyens techniques au service d’un flux d’images et de sons capable de...

le 3 mai 2017

10 j'aime

Eros + Massacre
Maqroll
9

Critique de Eros + Massacre par Maqroll

Un film culte du cinéma japonais et du cinéma tout court, une œuvre monumentale sur la Révolution et la sexualité, comme son nom l’indique, à travers la vie et les amours d’un révolutionnaire...

le 14 juil. 2013

6 j'aime

Eros + Massacre
thobias
5

Eros - Massacre

J'ai adoré Eros mais je me suis profondément ennuyé devant Massacre. 9/10 pour la partie avec les deux étudiants qui est sublime, visuellement à couper le souffle avec ce noir et blanc très...

le 10 sept. 2017

4 j'aime

Du même critique

Black Mirror
Nom-de-pays-le-nom
1

Philosophie de "Black Mirror"

C’est une petite accroche publicitaire trouvée sur Facebook qui pourrait résumer à elle seule toute la série "Black Mirror". Il s’agissait d’une sorte de petit jeu interactif, sur smartphone, qui...

le 18 févr. 2017

51 j'aime

10

Le Bûcher des vanités
Nom-de-pays-le-nom
8

Une odyssée du sourire

Sourire crispé, sourire édenté, sourire parfait, sourire éclatant, sourire prétentieux, sourire assuré, sourire du coin de la commissure, sourire hypocrite, masque béat dont personne n’est dupe mais...

le 18 mai 2014

18 j'aime

2

Léon
Nom-de-pays-le-nom
1

Arnaque

Luc Besson constitue un des mystères les plus navrants de toute l'Histoire du cinéma : comment quelqu'un dépourvu à ce point de toute sensibilité artistique est-il parvenu à se faire reconnaître...

le 25 avr. 2014

17 j'aime

3