Retour en Amérique Latine pour les studios d’animation Disney, soit 20 ans après l’excentrique et délirant Kuzco l’Empereur Mégalo de Mark Dindal. Alors que Raya étalait fièrement sa volonté de renouer avec un film de guerre tout en s’appropriant la culture asiatique et embrassant ses influences (Hayao Miyazaki et Avatar le dernier maître de l’air notamment) pour un sous-texte sur la confiance entre les peuples et envers son prochain sans céder à la naïveté ou à la facilité, Encanto la fantastique famille Madrigal renforce la volonté de s’attaquer à une nouvelle culture pour le catalogue des classiques d’animation des studios Disney.


Là ou Encanto va marquer là ou on ne l’attend pas tellement, c’est par son aspect de huit-clôs quasi assumé qui prend à contre-pied les voyages initiatiques ou les contes détachés du réel qui sont bien plus monnaie courante dans de très nombreuses productions animées de la boîte, récent (La Reine des Neiges, Zootopie, Moana/Vaiana, Ralph 2.0…) comme plus anciens (La Belle au Bois Dormant, Aladdin, Le Roi Lion, Atlantide l’empire perdu) y compris dans les films ou les événements se déroulent dans un lieu unique et global (Le Bossu de Notre-Dame et la ville de Paris). En plus du défi technique que de donner vie à une maison possédant une âme, le challenge consistera donc à tenir ses promesses narratives sur les 1H35 dans le foyer familial et ses environs.


Et après Jennifer Lee et Chris Buck sur La Reine des Neiges en 2019 et John Musker et Ron Clement pour Vaiana en 2016, au tour d’un autre duo iconique de l’âge d’or actuel du cinéma d’animation Disney de proposer le nouveau rendu de leurs travaux : Byron Howard et Jared Bush s’étant déjà imposé avec l’excellent Zootopie (ainsi que Raiponce pour Byron Howard également), et la dramaturge venue du monde du théâtre, Charise Castro Smith, en tant que coréalisatrice.


Passé une introduction simple et à l’imagerie sobre et chaleureuse en matière de couleur sur les origines de la casita des Madrigal, c’est sur des airs et une rythmique locale que Mirabel, nouvelle héroïne de la firme va introduire sa famille et son quotidien au sein de la communauté construite autour de cette famille atypique. Musicalité entêtante et rythmique, couleurs chaudes et estivales, présentation simple et basique des membres de la fratrie, et surtout une Mirabel caractérisée aussi bien par ces premières minutes que par son attitude : exubérante, adaptée à son cadre de vie, énergique et au premier abord orgueilleuse avant que son masque ne tombe, aussi volontaire que ses semblables mais pourtant sujette à une indifférence voire une mise à l’écart polie de la part de certains membres de sa propre fratrie (Isabela et Abuela en premier lieu, la première blasant plus Mirabel qu’autre chose par sa perfection trop construite et pour Abuela avec la sévérité retenue mais progressivement de plus en plus affirmée de sa part) en raison de son absence de miracle.


Mirabel sait aussi bien susciter l’attachement dans ses liens que son sentiment de rejet et d’infériorité la rendant plus vulnérable quand elle exprime tout ceci une fois isolée.


L’accompagnement d’Antonio jusqu’à la porte du miracle, un parcours qu’elle a déjà faite enfant avant la désillusion, nous font aussi comprendre la dureté de l’épreuve qu’elle a affronté et l’empathie dont elle est capable.


Mais Bush et Howard montrent également en quoi Mirabel est un être déjà plus complet que n’importe quel Madrigal malgré son absence de miracle.


Ceci passera aussi bien par la casita des Madrigal, doté d’une véritable âme mais tout autant spectatrice que Mirabel et les autres Madrigal de la déchéance magique qui se profile. L’animation de cette maison est un tout autre défi pour les animateurs qu’ils relèvent haut la main en réussissant à lui conférer des émotions rien qu’en faisant bouger des volets, des marches d’escaliers, des portes, des commodes, les plaques du sol avec pour unique limite les chambres des Madrigal doté d’un miracle, symbole d’intimité et même de sacrée vis-à-vis de leur don. On la sent bienveillante, impliquée sans pour autant voler le rôle à Mirabel, en communion avec ses habitants et on pourrait bifurquer sur la théorie comme quoi c’est l’âme de l’époux d’Abuela qui vit dans cette maison même si le film reste abstrait et très tertiaire sur ce point.


Encanto assume son aveu d’assumer son hyperexpressivité graphique et son esthétisme plus expérimental, le pas avait déjà été emboîté par Raya et le dernier Dragon par bribes et c’est aussi remarqué ici : il suffit de voir la chambre des membres de la famille. Notamment d’Isabela avec ses teintes très vives de rose, de mauves et de rouge et celle de Bruno particulièrement aride et conçu comme un temple immense délaissé de tous. Au-delà du travail des décors reflétant ses personnages et leur univers ou bien ce qu’ils tentent d’être malgré eux, Jared Bush et Byron Howard n’ont pas peur d’être plus débridé en termes de comédie et avec leurs personnages sans sombrer dans le cartoon de bas-étage ou le grotesque complaisant.


En témoigne l’attitude de Mirabel pour préserver les apparences lors du repas convivial destiné à marier Isabela à Mariano, alors que la catastrophe et le foyer aux miracles des Madrigal ne cesse de se répandre et se convertit en réactions toutes plus hilarantes les uns que les autres (Camillo se métamorphosant en série, Pepa ne contrôlant plus son pouvoir météorologique, Mirabel fixant si intensément Dolores afin qu’elle ne joue pas les balances que ça en devient comique).


Sauf que sous ces airs d’assurance, de gloire, d’abnégation pour la communauté et d’éclat, Bush et Howard vont dévoiler de plus en plus un véritable trouble et mal-être intime qui traverse la plupart des principaux membres de la fratrie et qui vont dévoiler le véritable problème de cette casita en proie aux ruines. Le plus souvent par le prisme de la musique et des chansons qui vont soit confirmer l’état d’esprit des membres


(Isabela lassée et harassée de jouer les filles modèles au nom de l’image familial le temps de Que sais-je faire d’autres, Luisa constamment angoissée par ses responsabilités malgré sa force herculéenne et qui envie la situation de Mirabel durant Sous les apparences en plus de craindre de ne plus avoir quoique ce soit pour elle sans son miracle)


ou tout simplement mener en erreur sur le véritable statut de l’un d’eux.


Et Bruno est directement visé par ce procédé puisque le temps de Ne parlons pas de Bruno, chacun des membres le décrit soit comme un devin de mauvaise augure (Camillo qui grossit ses traits en prenant son apparence par jeu et moquerie alors qu’il n’en a que peu de souvenirs, Pepa et Félix victime du coup du sort avec la pluie s’abattant le jour de leur mariage, Dolores regrettant l’annonce du mariage de l’amour de sa vie avec autrui et qui justifierait le fait qu’elle soit au courant de sa présence dans la maison mais le tient probablement coupable d’où son silence jusqu’à un certain point) ou au pire comme un membre maudit incapable de contrôler son don.


Alors que lorsqu’on le rencontre, deux choses importantes nous percutent : la première, son parallèle avec Mirabel.


Lui souffre d’un don qu’il n’a pas demandé et nuit plus qu’il n’est bénéfique, elle souffre d’être mise à l’écart car elle rapproche la personnalité de ses proches à leur miracle et qu’elle n’a donc rien pour se distinguer. La seconde qui contredit les moqueries ou suppositions à son encontre, c’est son implication de longue date contre la déconstruction de la maison mais aussi son attachement à la famille qui est démontré par l’image (le bout de table collé au mur de la cuisine, servant d’extension à la table de famille, lui donnant l’illusion de participer aux repas de famille malgré son isolement voulu et qu’il s’est lui-même imposé).


Au fil des confrontations de Mirabel avec les principaux membres, Encanto confronte deux visions qui mène au cœur même du problème. Celle de Mirabel découvrant bien sûr les travers cachés au sein de la fratrie et le mal-être des uns et des autres


(l’épuisement de Luisa, l’indiscrétion de Dolores, l’interprétation chaotique des visions de Bruno, l’anxiété perpétuel de Pepa qui s’exprime par son pouvoir météorologique),


et surtout celle d’Abuela qui modélise sa famille quitte à les travestir et les pousser dans leurs ultimes retranchements, en souciant davantage de l’image renvoyée de sa famille et de leurs miracles que de sa vraie source et sa principale raison d’exister.


Pour autant, Bush et Howard ne caricature jamais Abuela pour autant et donne une origine bouleversante à son mode de pensée et sa manière de diriger sa fratrie et ledit Encanto à sa manière dans un flash-back doux/dur au cours du dernier acte qui donne un sens à son comportement et sa position matriarcale et originellement portée sur l’abnégation


avant de devenir un statut, un rôle qu’elle s’est donnée à elle et sa fratrie au point d’oublier que c’est avant tout par amour et son désir de fonder un foyer que cet terre bénie et cette casita ont vu le jour.


Encanto a l'ingénieuse idée de ne jamais donner entière tord ou raison à l'une ou l'autre et nous fait comprendre deux choses.


Pour Mirabel, comprendre le combat et les obligations de sa grand-mère afin de préserver sa famille et sa communauté et ce que cela lui a impliqué en sacrifice en plus de comprendre qu'elle est déjà complète sans pouvoir, de l’autre pour Abuela il lui faut reconsidérer la place de ses membres familiaux non pas en fonction de ce qu’ils peuvent offrir et devraient faire, mais de ce qu’elle a à leur donner et leur laisser le choix de prendre leurs décisions de vie.


A ce titre, chacun des membres de la fratrie Madrigal est mémorable à sa manière que ça soit dans le face à face qu’ils partagent avec Mirabel durant l’enquête de celle-ci, l’effet miroir qu’aura celle-ci avec Antonio, la confrontation avec Isabela, l’amour maternel de Julieta, les gags visuels de Camillo, ou bien sûr el famoso Bruno. Leurs interactions sont toujours très honnêtes qu’ils soient affectifs ou comiques et l’exubérance dont certains font preuve ne les font jamais tomber dans la caricature ou la surenchère de bas-étage.


On a droit à un véritable feel-good movie ambiant totalement confirmé par le retour de Lin Manuel Miranda à la composition des chansons en plus d’être aidé par Germaine Franco pour la musique. Considéré comme le Gene Kelly moderne de la comédie musicale et auteur reconnu sur la scène, lui ainsi que la co-compositrice, endiablent merveilleusement nos oreilles par une fusion détonnant entre sonorités colombiennes et une musicalité plus moderne et plus pop mais sans que l’un ne prédomine sur son colocataire musical. Faisant aussi la part belle aux séquences plus folles et exutoire comme Sous les apparences (Surface Pressure) ou Que sais-je faire d’autre (What Else Can I Do), tous deux de véritables explosion exutoire colorée ahurissante, pour les sœurs Luisa et Mirabel et qui ne sont pas sans se rapprocher des chansons Disney à la folie visuelle créative qui restent encore en mémoire des fans de la compagnie (Je suis ton meilleur ami d’Aladdin, Bling Bling dans Vaiana, Zero à héros dans Hercule pour ne citer que ceux-là).


Je n’ai pas encore eu l’occasion d’écouter la VO pour en délivrer un avis complet. Mais du côté de la VF, les bonnes surprises sont très nombreuses : outre José Garcia qui reprend du service chez Disney et nous délivre trente secondes de chansonnette excitante, Camille Timmerman trouve un très bon équilibre entre interprétation musicale et l’acting en incarnant l’énergie communicative et l’empathie de Mirabel ainsi que sa frustration. Les comédiens incarnant les principaux membres de la fratrie Madrigal, dont beaucoup issus de The Voice, réussissent également à fournir une prestation au minimum convaincante, au mieux vraiment excellente. Mais Encanto trouve quand même le moyen de gâcher des très beaux noms du doublage pour des rôles tertiaires (Thierry Desroses, Marie Eugénie-Maréchal et Jérôme Pauwels pour ne citer qu’eux) et on réitère la même blague proche du gros What The Fuck à laquelle on a eu droit avec Adeline Chetail pour doubler le bébé Noï dans Raya et le dernier dragon (alors qu’elle mérite infiniment plus de respect) en appelant Emmanuel Curtil pour doubler un toucan… et je pense pas avoir besoin de faire un commentaire pour dénoncer l’absurdité de ce choix.


Plus décontracté, plus luxuriant que pas mal de ses prédécesseurs au sein de ce 4ème âge d’or de la compagnie Disney mais également plus intimiste et centré sur ses valeurs et ses principes, Encanto la fantastique famille Madrigal a beau être assez balisé narrativement et manquer d’un peu plus de temps pour rendre les transitions séquentielles plus fluides et coulantes, il réussit à apporter du neuf dans les propositions des studios d’animation Disney que ça soit à voir comme film estival ou un film de fête de fin d’année. Et aussi à confirmer la belle année qu'aura été 2021 pour le cinéma d'animation malgré les aléas provoquer au niveau de leurs sorties par la crise sanitaire actuelle.

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