Si Sam Mendes nous régale depuis désormais plus de vingt ans et son arrivée en trombe sur la scène mondiale avec le magnifique American Beauty, c'est par la qualité de ses films alliant à la fois une esthétique bluffante et un scénario toujours bien écrit et pertinent. Tout ce que l'on ne retrouve malheureusement pas dans ce dernier film sur fond d'hommage au cinéma, ou pas.

Car Sam Mendes, comme ses prédécesseurs dans mes visionnages dont je ne citerai pas une nouvelle fois le nom, s'attèle aussi à la difficile tâche de réaliser un film sur le cinéma, à une époque des plus dramatiques et tragiques pour le septième art. L'intrigue prenant place au sud de l'Angleterre, dans une ville aux fausses allures de cité balnéaire déchue, et mettant en son centre un cinéma de quartier réduit à deux salles suite aux aléas du métier, le spectateur y voit ici un hommage et une émotion toute trouvée pour la baisse de la fréquentation de ces petites salles qui nous font vivre. En étant ravi dès le début du film, je me délecte ainsi des belles images et des décors somptueux de ce cinéma à moitié abandonné par les années. Mais, à mesure que l'histoire avance, cette dimension perd peu à peu du terrain et semble s'éloigner de plus en plus à chaque minute de visionnage. Où est passé l'hommage fort aux petits cinémas que l'on me promettait? Pourquoi suis-je entrain d'assister à un vulgaire brouillon de scénario aux airs de déjà vu?

Et c'est bien un point central du film de Mendes: il ne dit presque rien. Ou plutôt, il dit bien trop de choses pour y trouver un réel intérêt particulier, et se perd dans des sous intrigues impertinentes et creusées de la mauvaise façon. On assistera ainsi successivement à une romance, à un film sur la maladie mentale et ses conséquences, à une critique du modèle britannique et de la société des années 80 et la condition des noirs dans le pays, et l'hommage se retrouvera peu à peu relégué au fond de la salle, avec les trois endormis de la séance du dimanche après midi...

Pour notre plus grand désespoir, Empire of Light ne parle donc pas de cinéma. Il passe ainsi deux heures à nous en donner l'illusion, mais se contente d'un minimum syndical pour faire passer la justification de son titre et de tout ce que l'on a pu dire sur le film. Mais si ! me direz vous, l'hommage est là, ne vois tu pas à quel point la relation projectionniste/ rookie du ciné est belle et révélatrice d'une passion naissante? Non, car celle-ci est vulgairement abandonnée à la fin du film, et le cinéma n'est alors qu'une lointaine pensée dans l'imaginaire d'un architecte. Certes, continuerez vous, mais la révélation d'Olivia Colman lors de sa séance reste magnifique! A peine, je réponds, je la trouve malheureusement dénuée d'émotion, et n'a, pour moi, aucunement sa place dans le film, et est même un affront dans la mesure où elle apparaît aussi tard et inutilement. Dernier argument que vous me présenterez avec fierté: la phrase du milieu de film est incontestablement l'hommage que l'on attendait "cette petite lumière a le pouvoir de te faire t'évader" (à quelques articles près). Bien sûr, il fallait bien une phrase symbolique qui n'en est même pas une et qui vient s'ajouter au ridicule de l'hommage voilé. Ce cinéma, décoré si magnifiquement et d'une beauté singulière, n'est donc qu'une excuse pure pour laisser graviter autour de lui des relations ridicules, car le film aurait très bien pu se passer dans un bar que cela n'aurait rien changé du tout.

Ces relations sont donc le centre du film. Elles sont professionnelles, privées, parfois un peu des deux, et redistribuent une nouvelle fois tout ce qui a déjà été vu au cinéma depuis plusieurs années désormais. Une relation de jeune homme avec une femme d'âge mur: déjà vu. A celle-ci vient s'ajouter la bipolarité d'une femme perdue dans sa vie: beaucoup trop vu. Empire of Light, s'il voulait faire la synthèse de ce qui se voit le plus en ce moment au cinéma, a réussi son pari, même si je pense que l'hommage au cinéma n'est pas ici.

La qualité visuelle du film redresse le tout, et lui donne ainsi le peu d'intérêt qu'il lui reste à pourvoir au spectateur. La photographie, signée Roger Deakins, est exceptionnelle, et les décors somptueux rappellent à quel point certains cinémas si proches de chez nous sont 100 fois plus beaux et accueillants que les gros complexes puants le pop corn. Derrière, Sam Mendes n'a plus qu'à suivre, mais peine malgré tout à donner vie à sa caméra, et l'immobilité des plans étonne, particulièrement lorsque l'on sait que son dernier film en date est 1917.

Les interprétations sont aussi déséquilibrées, entre une Olivia Colman un peu en difficulté et un Michael Ward resplendissant. Le film est aussi fait de nombreux seconds rôles qui, bien qu'ils ne trouvent que difficilement leur place dans l'histoire, restent interprétés par de très bons comédiens.

Le dernier Sam Mendes est donc une déception, tant au niveau de ce qu'il dit qu'au niveau de ce qu'il fait. Perdu dans des histoires qui ne se retrouvent pas entre elles et qui perdent même le film dans un manque de construction constant, on s'en réfère alors à la beauté visuelle, mais un cruel et étrange amour pour cette "lumière qui fait s'évader" nous rappelle à quel point le fond et la formes sont indissociables...

Créée

le 5 mars 2023

Critique lue 19 fois

Alban Peyrot

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