"Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille."

L’histoire d’Elephant est comme l’histoire d’un automne. Elle en a les couleurs et la monotonie, la même quiétude un peu froide, le même ralentissement paisiblement tragique de tous les cycles et mouvements de vie, la même conscience d’un été qui s’éteint et d’un hiver qui s’élève, assassin silencieux et patient qui répand l’inertie et la mort dans un mouvement plein de grâce et de douceur, comme le ballet ininterrompu que forment les feuilles mortes dans leur chute. Comme pour suggérer l’inexorabilité de la violence, l’inexorabilité de sa récurrence dans la chaîne des saisons humaines.

A ces longues plages d’errance où le métrage suit la marche d’une jeunesse comme une procession funèbre, Gus Van Sant appose un montage circulaire, faisant sans cesse passer son récit par des points bien identifiés, tant dans le temps que dans l’espace, maintenant ainsi une certaine apesanteur de l’ambiance dans laquelle le film baigne et faisant se superposer tous ces visages qui semblent finir par ne plus en former qu’un seul. Visage tour à tour mélancolique, euphorique, innocent, toujours jeune, mais aussi fermé et superficiel parfois, comme pour présager le masque d’adulte qui commence à le recouvrir.

La légèreté et l’insignifiance des conversations, le chaos feutré des sons de classes qui s’entrelacent dans l’écho d’un couloir et les ruisseaux d’ivoire et d’ébène de Beethoven forment une mélodie du quotidien, de l’éphémère, du moment absolument sublime, poignante aussi, conscient que nous sommes que cette tension sourde qui bourdonne sous la surface du métrage va y mettre un terme effroyable dans le vacarme tranquillement absurde des détonations finales.

Comme pour rappeler, la jeunesse, la vie, le film ne sont, comme l’automne, que des passagers du temps.
Omael
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le 28 avr. 2014

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