Début des années 90, à Paris et autour. J’y étais. J’étais là aussi, anonyme, à peine vingt ans, et je dansais, je chantais, les bras levés et en sueur, en rave rêvée, au Rex, au Queen, à d’autres endroits qui pulsaient, inconnus et libres. Le matin j’avalais deux croissants, parfois sur le zinc, parfois sur le rebord de mon évier, ensuite j’allais en cours, défoncé, les oreilles encore vrombissantes, les yeux piquants, t-shirt collant qui sentait le fauve, la vodka et les baisers volés. Peut-être l’ai-je croisé une nuit, Sven Hansen-Løve, je l’ai frôlé, une cigarette à la main, sur une banquette en skaï, se déhanchant au fond sous un spot. Eden raconte ça, Eden raconte Sven, parcours d’un jeune DJ lost in music, branleur dans ses instincts romanesques et ses flous professionnels.

Mia Hansen-Løve, sa sœur, réussit à capter l’air de ce temps d’avant sans en faire une thèse ni une montagne ni un témoignage exhaustif avec tout le monde au micro, la voix trémolo, très bass. Ce qui l’intéresse d’abord, c’est le sentiment amoureux, tous les jours, toutes les nuits, n’importe où et n’importe quand. Sauf que le sentiment raplapla, ici, c’est rasant. Paul et ces idylles futiles, dociles, ingrates, genre morne plaine ennui planant, avec celle-là ou celle-ci ou la blonde là-bas, je sais pas, peut-être, on s’en tape, tu nous saoules, doivent retourner Rohmer sous sa stèle et nous avec piqués sur nos sièges, altérant la douce énergie que dégage le film entre création artistique azimut (écrire, composer, dessiner…) et routine sociale bof (boulot, fric, gosses…).

La musique n’est finalement qu’un subterfuge, un motif répété, réduite à des dates qui s’égrènent (sur plus de quinze ans), des morceaux choisis en afflux sonores (Jaydee, Frankie Knuckles, Joe Smooth…) et quelques running gags pour la forme (les Daft Punk refoulés à chaque entrée de boîte). Et le phénomène French touch aussi, une ruse. Mouvance qui émerge, sons qui se créent, garage, house, électro, disco, hip-hop, funk, début des DJs stars (Laurent Garnier, Étienne de Crécy, David Morales…), loulous qui dandinent des platines, Nova et FG dans les écouteurs, époque féconde pour futur post-ecsta. Insouciance, je mixe ton nom.

Et puis Félix de Givry quoi. Givry il gâche, il nique tout avec son jeu amorphe, bras ballants et mine confite (pareil d’ailleurs à Clément Métayer dans Après mai d’Olivier Assayas, moitié d’Hansen-Løve, CQFD), toujours dans la même nuance, ah l’incapable ! et c’est flagrant dès qu’il lui faut lâcher une miette d’émotion à l’écran (une rupture, le suicide d’un ami, chialer sur la moquette, en boule). Tant pis. Eden raconte ça, un branleur avec du talent (les soirées Cheers, les sessions P.S.1 au MoMA…) qui n’avance pas dans sa vie, en décalage avec les autres, avec les potes, avec les filles. Stuck in the middle with(out) you… Eden c’est ça. Nostalgie / Euphorie / Actes manqués / Jeunesse perdue. Celle de nos vingt ans au début des années 90, à Paris et around the world (air connu).
mymp
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le 16 nov. 2014

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