J'ai pleinement conscience de l'extrême prudence, de la taille des pincettes qu'il me faut utiliser avant de parler sans enthousiasme excessif d'un film de Christopher Nolan, tant ce dernier a rejoint la cohorte des réalisateurs intouchables, c'est-à-dire ceux à propos de qui on ne peut pas émettre de réserves sans recevoir tombereaux d'insultes et cohortes de dislikers anonymes.
Ma critique presque bienveillante d'Interstellar s'en souvient encore.


Pourtant, la chose se confirme: nous sommes en train de perdre un réalisateur autrefois prometteur. Pour avoir tutoyé la grandeur au détour de premières œuvres réussies, Nolan semble désormais sûr de son talent. Et au lieu de chercher à retrouver cette grandeur à travers une volonté salutaire de simplicité, il impose dès le premier plan (et tout au long du film) toute la confiance qu'il a désormais envers son propre travail. Il ne cherche plus la grâce, il la déclame.


(Je ne m'appesantirai pas sur les détails qui fâchent immédiatement dans un film qui se veut, comme Dunkerque, sérieux, réaliste et implacable. Pourtant, ils sont légions. En vrac, et pour s'en tenir aux trois premières minutes, on ne court pas en ligne droite sous le feu ennemi, on ne se protège pas derrière un portail en bois qui se crible de balles quand un mur est 50 cm à côté; les façades d'un village ne sont pas immaculées quand les balles fusent dans tous les sens, et on n'attend pas avec de l'eau jusqu'à la taille dans la mer quand aucun bateau n'est en vue. Si vous recherchez de l'exhaustif, par un blogueur célèbre c'est par ici.)


L'idée de superposer trois trames asynchrones proposait quelque chose d'intéressant. Mais ce qui fonctionne dans Inception se crashe ici sur le mur d'un film à vocation dramatique. Les tragédies s'empilent, s'entrelacent et deviennent rapidement, à l'image de la section aérienne, parfaitement redondantes. La musique, qui ne cesse de venir caresser les images comme les vagues d'une armée invisible et anxiogène, ajoute de l'emphase a une succession d'enjeux qui rapidement nous échappent.


Mais, bien entendu, comme tout n'est pas à jeter dans cette expérience qui a le mérite d'oser quelque chose, il convient de saluer le superbe travail du chef opérateur, qui a accompli ici quelque chose admirable de profondeur et de plasticité. Cependant, un enchainement de superbes plans n'a jamais suffit à faire un film, il suffirait de jeter un œil sur le superbe et bien plus modeste Week-end à Zuydcoote, sur un thème comparable, pour s'en assurer.


A l'image d'une plage immaculée en pleine guerre, terriblement graphique mais parfaitement artificielle, le film de Nolan est épargné par trop de balles perdues pour que l'une d'entre elle touche sa cible. Ne surnageront de ce film que quelques scènes, un ou deux acteurs, peut-être. Deux ou trois bouées de sauvetage éparses dans un océan froid et un peu trop vaste.
On voudrait retrouver Nolan. Mais il s'éloigne à chaque film, comme emporté par une vague trop grande pour lui. Et j'ai bien peur que pour retrouver cet homme perdu en mer, il faudrait désormais un miracle. Une flottille de bateaux de plaisance anglais n'y suffira sans doute pas pour le coup.


(je sais, mon titre ne fonctionne pas, c'est la mer du Nord... merci Djee. Merci !)

guyness

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