Cette première adaptation au cinéma du célèbre roman de Stevenson étonne par ses expérimentations visuelles.
L’impressionnante ouverture du film adopte une vue subjective très dynamique – originalité frappante pour un film de 1931 – où le spectateur entre dans la peau de Jekyll, à l’instar d’un parasite, d’un double monstrueux et voyeur, et entre ainsi dans l’univers du film de façon spectaculaire et symbolique : plans-séquence, scènes de miroir très réussies, passages d’un décor à l’autre à l’aide d’une caméra fluide et précise. Cette thématique du double se retrouve en chaque instant du film, jusque dans les transitions en volet, durant lesquelles l’écran reste coupé en deux pendant plusieurs secondes, attendant patiemment que le plan se termine avant que le suivant débute et prenne enfin le relais en plein écran.
Mais il n’y a pas que la mise en scène qui est brillante, il y a aussi et surtout les effets visuels. Les transitions entre Jekyll et Hyde sont formidablement exécutées. Les premières transformations, plus subtilement évoquées que les suivantes qui se feront plus explicites comme c’est souvent le cas dans ce genre de films, sont les plus perturbantes, les plus monstrueuses, les plus évocatrices. C’est en jouant sur les contrastes et sur le négatif que les cernes de Jekyll s’assombrissent et déforment un visage angevin de façon extrêmement réaliste et dérangeante. Un effet parfaitement exécuté qui n’a tellement pas vieilli qu’on se demande quelques instants comment cette image a pu être rendue possible, même pour des spectateurs ayant digéré depuis plus de 90 ans de cinéma fantastique…
L’horreur s’invite à chaque apparition de Mister Hyde, croisement glauquissime entre un gentleman et un singe malfaisant. La créature, formidablement travaillée par le maquillage et l’interprétation, apporte au film une véritable inquiétude, sonne l’effroi à chaque plan, chaque regard, chaque réplique. Toutes les scènes de harcèlement, de viol puis de meurtre envers ce personnage d’Ivy, à l’intensité folle, campée par l’excellente Miriam Hopkins, incarnation parfaite du Pré-Code, oscillent entre humour noir cartoonesque et terrible évocation démoniaque. Des scènes si marquantes que l’on en se cramponne à son siège à chaque apparition de la bête, venant à redouter son arrivée autant que Jekyll qui perd le contrôle sur son double maléfique.
Un film impressionnant, aussi drôle qu’effrayant, et débordant d’idées visuelles toujours pertinentes : à voir absolument !