Don't worry et remember comme c'était mieux avant.

Notre Floflo se fourvoie, se complait dans son aliénation de monde préfabriqué. Au-délà des immenses failles de son scénario, le film nous plonge dans nos propres têtes, univers idéalisé où nous reviennent les souvenirs factices d'une époque que l'on fétichise, la croyant dénuée des douleurs et angoisses du présent.

Ce qui fascine avec le concept de départ est la multiplicité des métaphores possibles. De la simple lecture anti-patriarcale un peu bas de plafond à la critique du conformisme moderne en passant par l'évocation d'une nostalgie ambiante s'avérant dangereuse : nous sommes devant un principe matriciel où chacun peut puiser dans ses colères et ses propres réflexions sur la société pour apposer à chaque séquence ce qu'il voit politiquement. Et nous aurons toujours raison... quel confort !

La nostalgie comme suejt du film, ça tombe bien : s'appuyant évidemment sur le Truman Show, c'est toute cette vibe hollywoodienne de la fin des années 90 qui est convoquée ici : la remise en question de la réalité et le rejet d'un mode de vie quadrillé au centimètre près (Matrix, Fight Club, Dark City, Sixième sens, Eyes Wide Shut, American Beauty...) Les dissonnances dans le quotidien du personnage finissent par le faire rejeter son propre environnement, ses propres souvenirs. Pas seulement survolé par cette idée toujours actuelle et devenue presque commerciale du contrôle masculin, le film a l'occasion de creuser l'idée de l'après. Sortant du monde contemporain, visiblement ne roulant pas sur le bonheur, et probablement dans la société que nous connaissons (et qui revendique aujourd'hui le droit et la parole des femmes), l'homme en guise de réponse à ce qu'il perçoit comme une attaque de l'univers entier envers son mode de pensée et son éducation confond dans son inconscient ses propres pulsions de pouvoir et le prétendu malheur de sa femme au point de penser la sauver en l'emmenant dans son rêve à lui. Dans son petit monde fantasmé rempli d'objets rappelant sa domination à commencer par ces chouettes joujours à quatre roues, il finit par réduire son amour à une position de contrôle, le voilà rassuré. Les nostalgiques sauvent leur propre univers, faisant semblant de se persuader du bien-fondé de leur mensonge.

Pourquoi ne pas y voir aussi l'enfer du monde du travail, à subir la fatigue et l'autorité supérieure à coups de fouet mentaux, puisqu'il faudra y survivre en tout cas, autant rentrer chez soi et avoir une prise sur son intérieur, se dessiner un sympathique petit cocon d'amour.

Dans son roman Terre des hommes, Saint-Exupéry nous explique - entre deux anecdotes d'aviation, en toute détente - que la nostalgie peut survenir du décalage entre la définition classique d'un mot et ce qu'il pourrait dire aujourd'hui. Le langage déterminant la pensée, on va immédiatement considérer que c'était mieux avant : quand les mots correspondaient parfaitement à ce que sa définition laisse penser. Exemple : famille, couple, maison, travail... Si on nous présente un couple de LGBT qui ont adopté un gosse, notre définition imaginaire du mot "famille" va clairement en prendre un coup, ce qui provoque pour certains une forme de rejet. Le monde dans lequel vivent les personnes de ce film est fait pour répondre à la lettre à ces définitions en ommettant le fait que ces dernières auraient peut-être évolué.

On peut se demander en quoi la beauté formelle du film et la classe de la réalisation apportent un soutien sans faille à ce discours personnalisable. L'esthétique léchée convient plutôt bien à la vie rêvée des personnages. C'est trop beau, trop parfait.

On peut regretter la direction un peu trop Black Mirror / Get Out avec ce concept qui aurait pu être conduit d'une façon plus imaginative dans les codes (l'espèce de machin technologique à base d'electrode vu et revu) et le manque de consistance du gourou qui aurait pu être un personnage terriblement actuel. Cela aurait pu pallier l'appréhension assez facile de la dernière demi-heure qui ne surprend à aucun moment.

Mais Floflo joue vachement bien.

latuile
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le 13 oct. 2022

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Franky Latuile

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