Olivia Wilde est une féministe convaincue et son second long métrage, Don’t Worry Darling (les paroles lénifiantes d’un mari rassurant son épouse quant à sa propre capacité de gérer leur vie commune) est un véritable brûlot anti-masculinité toxique. Le résultat de cette audace – clamer haut et fort le refus du désir toujours impérieux des mâles de récupérer leur contrôle sur le couple – est que nombreuses sont les critiques rageuses, voire violentes, de boomers et autres incels à s’abattre sur un film qu’on jugera tour à tour mal écrit, avec un scénario trop simple, mal mis en scène, mal interprété… Soit des jugements d’une mauvaise foi risible sur un film certes imparfait, mais largement au dessus de la moyenne.

Partant de la description visuellement sophistiquée – mais certainement convenue depuis Edwards Scissorhands et Desperate Housewives d’une Amérique banlieusarde aisée – Don’t Worry Darling va creuser le sujet de l’aliénation de la femme prisonnière de son foyer, mais aussi de l’amour qu’elle ressent pour son mari : la folie envahit petit à petit, et, malgré les électrochocs, irrémédiablement, l’existence d’Alice. Mais bien sûr, le fait qu’Alice soit paranoïaque ne signifie pas qu’elle ne soit pas vraiment victime d’un “complot”…

En conjuguant Alice au Pays des Merveilles et The Truman Show, le tout transposé à l’époque de la réalité virtuelle, le scénario de Don’t Worry Darling n’est pas forcément original, mais il est sacrément pertinent : son évidence même – parfois critiquée, donc – reste la meilleure preuve de la clarté de son propos. En nous rappelant que les années 50 – 60, qu’on nous présente comme une sorte d’âge d’or (sous-entendu “avant l’avènement des emm… féministes, LGBT, écologistes, BLM, etc.”), étaient avant tout l’ère de l’oppression de la planète par le mâle blanc, Don’t Worry Darling nous rappelle les mensonges des réactionnaires de tout poil, qui sont toujours là, prêts à tout pour regagner leur pouvoir : si ce n’est pas par la force – la femme idéale est pour eux attachée sur un lit, nous dit Olivia Wilde -, alors c’est par des discours manipulateurs sur le progrès par la science ou la liberté de ne pas suivre la “pensée unique”, comme ceux du répugnant et terrifiant Franck, auquel Chris Pine, dans un registre inhabituel, confère un charme toxique.

En faisant du cercle – symbole de l’enfermement – la figure centrale de sa mise en scène, Wilde est certes parfois trop systématique – certains mouvements de caméra étourdissent – mais démontre une obstination louable : que le cercle soit physique (comme figuré par les ballets des danseuses filmées de haut, ou encore par la topographie de la ville de Victory ) ou symbolique (cette pupille qui se dilate), il est une prison physique ou mentale qui sert les noirs desseins du mâle.

Il faut enfin célébrer encore une fois le talent de Florence Pugh, actrice rare et d’une luminosité étonnante (qui peut rappeler, dans certains plans, celle d’une jeune Bardot), qui transcende nombre de scènes par sa pugnacité et les émotions complexes qu’elle sait dégager. Même si le casting autour d’elle est irrégulier, et que des problèmes – connus et montés en épingle par la presse à sensation – sont survenus au cours du tournage et ont sans doute contaminé certaines scènes (on peut imaginer d’ailleurs que leurs effets ont pu être bénéfiques à la tension malsaine que dégage Don’t Worry Darling), Florence Pugh est une actrice exceptionnelle, qui peut justifier à elle seule le visionnage du film.

[Critique écrite en 2022]

Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/09/22/dont-worry-darling-dolivia-wilde-alice-in-victoryland/

EricDebarnot
8
Écrit par

Créée

le 22 sept. 2022

Critique lue 4.1K fois

59 j'aime

7 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 4.1K fois

59
7

D'autres avis sur Don't Worry Darling

Don't Worry Darling
EricDebarnot
8

Alice in Victoryland

Olivia Wilde est une féministe convaincue et son second long métrage, Don’t Worry Darling (les paroles lénifiantes d’un mari rassurant son épouse quant à sa propre capacité de gérer leur vie commune)...

le 22 sept. 2022

59 j'aime

7

Don't Worry Darling
B_Jérémy
6

Alice au pays de la caricature

Nous faisons quoi ? « Nous changeons le monde. » Nous faisons quoi ? ««Nous changeons le monde !!! »» Les hommes, tous des salauds Avec Don't Worry Darling, Olivia Wilde nous plonge...

le 22 oct. 2022

47 j'aime

59

Don't Worry Darling
dagrey
4

La prisonnière du désert

Alice et Jack Chambers sont un jeune couple heureux dans les années 50, vivant dans la ville de Victory, en Californie, qui semble parfaite et qui a été créée et financée par la mystérieuse société...

le 25 sept. 2022

23 j'aime

11

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

103

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

183 j'aime

25