nov 2011:

Après être sorti de la salle Rabelais à Montpellier où l'on donnait "Séduite et abandonnée" à 10h dans le cadre du 33e Cinémed consacré à Pietro Germi, j'ai fait la queue pour retourner dans cette même salle pour ce "Divorce à l'italienne" dont la projection commençait à midi. Et c'est ainsi que j'en finis avec la rétrospective d'un cinéaste pour qui je me découvre peu à peu une profonde admiration.

Ce film traite exactement du même problème que dans "Séduite et abandonnée". On est encore une fois dans la Sicile de l'après guerre, il est encore question de l'honneur de la famille, de l'enfermement des hommes et des femmes dans un contrat social et religieux qui lie le couple, la famille à toute la société, système indéboulonnable dont l'indéfectibilité ne se résout que par la mort.

Pourtant on ne pourra trouver films plus différents. Autant le traitement de "Séduite et abandonnée" était très classique, une étude de mœurs qui suivait les déboires d'un père pour sauver l'honneur de la famille après que sa fille fût déshonorée par un malotru, autant ce "Divorce à l'italienne" est une comédie très ironique, molto corrosive qui cherche à montrer par l'absurde ce que ce système est capable de sécréter d'immoral, voire de criminel, chez des individus qui ne sont que des êtres humains tout à fait normaux, faits de désirs et de contradictions. C'est donc l'aliénation à l'image sociale de la famille qui pervertit les comportements et aboutit à pareille souffrance.

En dépit d'un sujet douloureux, Pietro Germi adopte là un ton résolument moqueur, plein de cet humour noir que la comédie italienne a su utiliser tant et tant de fois à bon escient pour critiquer les lamentables prisons mentales qui barraient l'horizon des italiens avant la libération des mœurs. Dieu que c'était dur! Et ces deux films, dans une large tessiture du plus aigu au plus grave, parviennent à rendre compte de réalités qui paraissent totalement crétines aujourd'hui et sans doute déjà à l'époque pour le Génois Germi.

Au delà de son sujet pittoresque et effrayant à la fois, ce film est une somptueuse composition scénaristique. Le narrateur est interprété de manière extraordinaire par Marcello Mastroianni. Je peux même dire que cela fait partie de ses plus épatantes performances d'acteur. Il se trouve confronté à un amour puissant et sincère alors qu'il vit maritalement avec une femme qu'il n'aime plus. Comme le divorce est inenvisageable, il projette de tuer son épouse de la seule manière pour laquelle la société -et donc la Justice sicilienne- lui trouvera des circonstances atténuantes : en la prenant en flagrant délit d'adultère.

L'on suit donc les manigances de cet homme aveuglé par ses penchants pour la sublime Stefania Sandrelli. Elle participe assez peu au film, mais sa beauté lumineuse suffit à comprendre le sort de Marcello Mastroianni et par conséquent à compatir. L'horrible projet de cet homme apparait comme salutaire. Quand il lit une lettre de sa dulcinée qu'elle lui a adressé par inadvertance et qui était en fait destinée à ses parents, on ne peut s'empêcher de craindre le pire. Effectivement, le père de la jeune femme lit dans le même temps la lettre passionnée de sa fille pour un homme marié et l'on prend fait et cause pour le couple.

Sans doute l'incarnation ronde, plutôt comique de Mastroianni peut expliquer cette sympathie naturelle pour le personnage. Les traits tirés, la moue boudeuse, les petits tics nerveux et la voix-off de l'acteur sont si charmants, le séducteur italien dans toute sa splendeur fait mouche dans le public. Gagné!

Il faut signaler encore une fois la très belle réalisation de Pietro Germi, les première scènes entre les deux tourtereaux sont magnifiques : Adam et Eve dans le jardin d'Eden. Décors et lumières donnent un spectacle d'une tendresse ravissante.

Au final, entre les acteurs, la mise en scène et la finesse d'écriture, on se retrouve avec un très beau film, un des meilleurs films de Germi. Pas étonnant qu'il reçut l'oscar du meilleur scénario et le Golden Globe du meilleur film!
Alligator
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le 20 avr. 2013

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Alligator

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