« Action de démolir » qui peut tenir de la destruction physique, morale ou matériel d’une personne, d’une œuvre ou d’un argument. Quand Jean-Marc Vallée propose Demolition, il le fait avec le fardeau Dallas Buyers Club. Il le fait avec le fardeau Matthew MacConaughey.
Pour son prochain film il devra faire avec ces deux là mais il devra ajouter Demolition et Jake Gyllenhaal.


Une nouvelle fois, J-M Vallée signe un film de haut vol bien loin du biopic qu’était Dallas Buyers Club, certes. Certes, Demolition est peut-être un peu plus convenu, moins énervé et plus lissé, Certes. Certes. Mais comment, une nouvelle fois, ne pas être impressionné par la facilité avec laquelle Vallée met en scène le deuil et le processus aussi destructeur que constructeur qui lui est inhérent. Au delà d'être un drame, Demolition est une vraie proposition. Une proposition qui met en image et en mouvement un processus souvent intérieur. Ici, Vallée magnifie ce processus en le rendant vivant. Davis Mitchell est un financier talentueux aveuglé par son travail, tellement pris qu'il en oubli une fuite dans le frigidaire. Il perd alors sa femme. Tragique. Lui reste froid, indolore, sans émotion, il s'essaie même à se forcer à pleurer.


C'est alors que commence le vrai fond de Demolition, l'épopée d'un homme qui se redécouvre par l'intermédiaire d'un goût prononcé pour la destruction. Partant....de ce même frigidaire pour finir sur la destruction pure et simple de sa maison. Une maison qui représente alors tout ce qu'il fuit : sa vie, sa femme, le "m'as-tu-vu" et la plasticité d'une existence représentée par une maison froide et morte. Une absence d'émotion mise en image avec humour par Vallée.
Jake Gyllenhaal livre une performance une nouvelle fois assez extraordinaire. Dans la même veine que Enemy ou Night Call, il fascine autant qu'il capte. Son charisme, son regard, sa prestance sont indéniables. Mais comme dans Dallas Buyers Club, Vallée arrive a donné du répondant à son acteur star. Pas dans la personne de Karen Moreno (Naomi Watts) mais dans celle de son fils. Ce gosse un peu perdu, autant rockeur que travelo, testant son orientation sexuelle.


Le trio détonne d'humour et de sensibilité. La relation entre Karen et Davis est menée de manière assez classique mais donne une vraie cohérence au film. Elle, est un peu pommé, lui cherche un exutoire (ou simplement du sens). Les deux se rapprochent et s'aident mutuellement pour se sortir de leur vie respective. Chacun trouve alors son chemin. On notera que Vallée, n'a pas plus que ça développé l'histoire de Karen. Elle est là, c'est tout. Leur rencontre est aussi rocambolesque que touchante. La relation que Davis crée avec le fils de Karen est aussi improbable qu'intéressante (et provoque quelques situations très drôles ou saisissantes).
Il n'en reste pas moins que c'est bien l'histoire de reconstruction de Davis qui nous occupe : ses essais au tir dans la forêt, son démontage des toilettes et la destruction de la maison sont quelques scènes qui valent clairement le détour. Pas seulement pour le rendu visuel mais aussi pour la qualité de la musique qui accompagne l'image. D'autant plus que Vallée met en image ce qu'on est beaucoup à vouloir réaliser : détruire quelque chose sans limite. Je retiendrais aussi cette scène aussi drôle que belle : Davis, casques aux oreilles, au milieu d'un Manhattan aussi snobe qu'aveugle. Une sacré image, aussi banale que riche de sens. Pourtant le film n'est même pas une critique de la finance. A la limite, une critique du déguisement qu'ils s'imposent, peut-être (en même temps...).


Demolition est une histoire de deuil. Le deuil d'un homme qui ne voyait plus rien à part des taux et des millions de dollars. Et qui en oubliait les détails de la vie. Des détails insignifiants mais qui nous feraient tous sourire ou plaisir. A l'image de cette scène finale frissonnante où chacun aura été au bout de son processus, Vallée donne encore une sacrée leçon de vie. Nous rappelant qu'un post-it peut être largement plus important que beaucoup de choses. Et comme Demolition n'est pas si lisse qu'il n'y parait, Davis ne finit pas avec la femme qu'il a rencontré comme beaucoup pourrait l'attendre, il finit heureux et a enfin réalisé qu'il aimait sa femme autant qu'elle l'aimait (Du coup on s'y attendait un peu quand même...). Histoire de finir avec un "c'est quand un truc disparait qu'on se rend compte patati patata". Tel un fantôme rédempteur, c'est dans sa mort, que Julia aura réussi à rendre Davis heureux.

Halifax

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