Durant un accident de voiture, sa femme décède et lui survit. Alors que Davis devrait pleurer sa tristesse et être submergé d’un chagrin insurmontable, il ne ressent rien, continue son train-train habituel dans sa résidence high tech. Part au boulot comme si de rien n’était sous les yeux ébahis de son patron, qui n’est autre que son beau-père meurtri. Voilà toute l’ambivalence d’un film qui traitera du deuil d’une façon bien particulière et qui extraira sa singularité par l’imprévisibilité de son cheminement, dont le récit sera une « métaphore » d’une liberté acquise par le cercle vicieux de la déconstruction/reconstruction. Autant dans son imagerie qui verra Davis tout casser à coup de pelleteuse ou burin, tout « dépecer » non pour pas lire dans les entrailles mais pour décortiquer l’intérieur de chaque chose ou pour y déceler la faille, que dans sa trame narrative un peu fourre-tout qui mélangera avec habilité humour naïf et émotion abrupte.


A travers cette œuvre Jean Marc Vallée n’entreprend pas une entreprise de démolition mais plutôt une entreprise de caractérisation. Celle de ses personnages, qui essayent tant bien que mal d’avancer dans l’inconnu sous le poids de la culpabilité et l’enfermement de certitudes faussées. La culpabilité de ne rien ressentir ou d’avoir été un mari distant, d’être soi-même contre l’avis des autres, d’être une mère indigne ou camée, d’être un conducteur qui ne sait pas comment se faire pardonner.


Ce sentiment va en faire naître un deuxième : celui de la liberté. Certes nous sommes loin d’un esprit punk ou anarchique, mais cette velléité d’espace face à la norme sociale fait de Démolition une œuvre entière qui ne triche pas sur ses intentions et qui a surtout l’audace de ne jamais rajouter de la putasserie ni de la colère hypocrite à son trauma. Bien que bancal dans son propos sur l’épanouissement d’un soi qui parfois se dilue dans des séquences, certes touchantes ou amusantes, mais qui ne vont pas plus loin que la simple parenthèse enchantée, Démolition est surtout aidé par un montage des plus structurés dans sa déstructuration.


De ce montage, des images se créent, des superpositions de plans saccadés s’ajoutent les uns aux autres où la réalité se rattache à la pensée de Davis à travers de sublimes flashs et souvenirs sur des moments d’apaisement avec sa femme. Comme si la conscience essayait de se remémorer des choses ou tentait de se convaincre d’un amour qui n’a peut-être jamais exister. Et c’est par ce biais que le film continue sa métamorphose, tout en ne se hiérarchisant pas dans un genre bien précis : que ça soit le drame, le récit initiatique d’une vie ou la critique sociale. Porté aux nues par un Jake Gyllenhaal parfait dans son rôle de financier arriviste, cynique et fébrile au sourire de sociopathe (non sans rappeler son regard dans Night Call
, Démolition parle du déséquilibre. Non pas du déséquilibre mental, mais celui qui est vital, celui qui permet de s’absoudre et de faire rejaillir l’entité de nos émotions, souvent enfouies par la société et son conformisme actuel.


Pour se faire, Davis va faire la connaissance de Karen et de son fils Chris. De ce trio-là, Jean Marc Vallée va tirer toute la sève de son long métrage, en s’échappant des idées reçues scénaristiques du genre. Et c’est donc dans cette optique-là, que Davis ne deviendra pas l’amant et le beau-père déjà vu et revu. Il se contentera simplement d’être un ami, de pouvoir goûter à un but et de prendre enfin des responsabilités vis-à-vis des autres. Pourtant cette architecture, cette symbiose et cette ambiguïté dans les relations occasionnent des instants frais et déclencheurs de forte empathie envers ces personnages dont l’écriture émotionnelle est la véritable force.

Velvetman
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le 14 avr. 2016

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