Avec le temps on en oublie l'essence même d'un film. A le revoir, on se demande comment on avait pu passer à côté de l'évidence. Car n'était resté ni plus ni moins que la moelle épinière, mais pas le fluide qui la nourrissait. Ce rapport intime entre un humour iconoclaste, grinçant, noir (et blanc) et une subreptice poésie ingénieuse était d'autant plus détonnant que ne subsistait que le dernier. Coup de maître, quand on se rend compte que Dead Man est quand même, dans le fond, un grand film comique orchestré au vitriol. Comment on avait pu oublier toutes ces répliques ? Comment négliger tous ces indices parodiques ? Par l'image et sa manipulation intrinsèque, mon ami. Parce que Dead Man déborde d'un charme poétique incontestable, qui fait vaciller tout concurrent pour littéralement l'envoyer valdinguer dans le décor. Il en impose, le bougre, du haut de son damné William Blake campé par un Johnny Depp tout poupin et néanmoins remarquable de justesse. Dans un capharnaüm d'incongruités, c'est bien son jeu d'acteur illusioniste qui nous trompe comme des éléphants abrutis par notre lourdeur pachydermique. Mais on ne nous y reprendra pas ! Car nous saurons, dorénavant, qu'il ne faut se laisser berner par cette ambiance nébuleuse orchestrée par ce badaud badin de Neil Young qui a troqué son jeu de guitare contre une paire de mains mouvante selon l'instinct. Alors c'est donc ça : une esthétique affolante de beauté couplée à un bourdonnement perpétuel couvre irrévocablement le propos fondamentalement comique d'un film qui fleure bon l'entourloupe. Je me suis fait piéger, assurément, mais avec une énorme satisfaction et aucune rancune à l'égard du fripon Jim Jarmusch.
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le 15 déc. 2010

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