Avec un titre aussi prétentieux, accolé au sulfureux nom d'Alain Soral, il est facile de frémir, de se dire "merde, lire un truc de facho c'est déjà être un peu facho". Et puis on se dit que ce serait con d'avoir peur d'un livre, de "simples" idées. Et que finalement ce qui ne colle pas c'est cette peur de s'informer, de se "cultiver", fut-ce avec de la mauvaise information. Comme si c'était mal de faire se confronter les idées. Alors on serre les fesses et on va emprunter le bouquin à la bibli, en psychotant pour la survie de son intégrité de gentil.

Tout ça, c'est parce que Soral est un personnage. Un petit teigneux, qui décoche des coups de coquelet féru de boxe française. Besancenot, Sarkozy, les sionistes, la classe politique française, et même le FN (un peu), beaucoup morflent, mais pas tous. Il en donne, il en veut, et le spectateur "consomme", comme il dirait, il en redemande. Étant intéressé par le personnage, marginal, boudé, muselé par les personnalités publiques, pour une soi-disant "bienséance" impérative et une sorte de "salubrité verbale", j'écoute ce qu'il a à dire, en essayant de prendre assez de recul pour ne pas tout gober, même si ce serait bien tentant de tout avaler pour se donner l'illusion de monter au front avec lui. C'est le paradoxe de la bête noire, aussi connu par JM le stylo. Conspué, le marginal de notoriété publique intrigue, recueille les voix de ce qu'on appelle les "paumés", les "laissés pour compte", les "égarés", les "indécis" et de tous ces êtres-qualificatifs péjoratifs comme "populiste" qui visent à écarter une grosse partie des gens de la société, et plus encore de la vie publique.

De tout ce qu'il évoque, je ne connais que peu de choses, mais j'estime qu'il est nécessaire d'écouter un point de vue différent, qu'il soit moralement considéré comme "abject" et même condamné par la loi. Et pour le bien comme pour le pire (ou plutôt l'empire), on se rend compte que la manipulation est située des deux côtés. En étant trop sanguin, et en manipulant les images pour ne dire qu'une vérité qui est la sienne et qui a pourtant le mérite d'être cohérente, on retombe dans les travers d'un vidéaste politique bien connu qu'est Michael Moore. Les images se suivent, sans qu'on comprenne bien parfois si on attaque une personne pour ses opinions privées (parfois non-avérées - je pense à Hanouna) ou pour son prosélytisme pro-Israélien. Parce que le "fonds de commerce" du "père Soral", c'est la cause Palestinienne et l'antisionisme, et pour ses détracteurs l'"antisémitisme", soit la défense du peuple Palestinien qu'il considère comme opprimé par ce qu'il appelle les "colons Israëliens". Il suffit de voir quelques vidéos pour comprendre son discours et les distinctions qu'il fait entre juifs et sionistes - et même sémites.

Soral a ses paradoxes, ses points de vue qui sont peu défendables et ses tics énervants, facilement caricaturables et caricaturés (Usul, notamment). Appelant à voter FN, il chie sur l'Israëlophilie d'une frange du parti et conspue la lutte contre les musulmans de la gendarmette. Il appelle à une certaine indépendance de ton et d'esprit, mais sa promotion incessante de ses propres bouquins et de sa maison d'édition, qui sont en fait à la mesure de son égo, ne donnent pas d'atomes crochus pour le personnage. En faisant ça il distribue de la monnaie à ceux qui affirment qu'il monte au créneau pour le "business", chose assez peu probable, en toute vérité... Idem pour son rejet du "satanisme" des Femen et du lobby gay en contrepoint de sa défense de la famille, du socle fondamental de la République et de la "catholicité" (comme il dirait), alors même qu'il fut un "serial baiseur", traitant longtemps (peut-être moins maintenant) la femme avec peu d'égard, en la considérant comme un produit consommable de la société patriarcale et machiste qui l'a modelée, formatée.

Enfin bon... Cela concerne ses vidéos, son "moi" pseudo-social, spectaculaire. Il devrait en être autrement dans ce bouquin. Il devrait se charger de nuancer, de mettre des rustines, de colmater les brêches, d'éclairer les points d'ombre, etc. Et dans les faits, ça se révèle assez difficile. Pétri de petits textes incisifs (c'est un essai, hein) et combatifs, souvent répétitifs, il se pâme de ne pas se vautrer dans l'académisme, mais tombe également dans les travers d'un style à mi-chemin entre l'oral et le littéraire.
Oral parce qu'on y retrouve un peu du Soral des vidéos, avec des expressions qui n'étonnent pas, mais aussi beaucoup d'estocades portées et répétées contre les représentants du Nouvel Ordre Mondial. La répétition, c'est ce qui caractérise le mieux cet essai, puisque ce n'est pas vraiment dans la précision qu'on pourra se satisfaire. Pourtant, on aimerait en savoir plus ; on aimerait que Soral fasse un peu plus son conférencier, son universitaire ventripotent à costard et à pipe.
C'est qu'il a confondu la concision, qu'il assume et revendique, avec la précipitation (ce qui se voit à certaines fautes d'orthographe), par ces nombreux paragraphes emportés qui sont autant de parties et sous-parties, et qui traduisent une certaine urgence de l'écriture, une fuite de la pensée qu'il a voulu coucher à tout prix sur le papier. C'est dommage, parce que des choses très intéressantes tombent un peu à l'eau. Toutefois, je n'ai en l'état pas d'exemple précis en tête mais je pourrais me faire une joie de les noter si je le relisais.
Littéraire, aussi, il ne faut pas l'oublier, car certaines de ses phrases font usage de figures de style (métaphore, allégorie, ironie, prétérition...) qui noient le poisson et peuvent laisser planer le doute sur ses idées et ses motivations politiques. Si bien qu'arrivé au milieu il est plus difficile d'apprécier cette succession de petits bouts, tant la mécanique d'écriture est identifiée mais ne permet pas pour autant d'éclairer davantage le sens de certaines portions du texte. Sûrement aussi parce qu'il jargonne pas mal à partir de ses propres concepts ou de ceux de Marx, pour n'en citer qu'un parmi d'autres auteurs.

En somme, cet essai est utile pour avoir un point de vue différent sur la politique actuelle, même si ce qui fait l'idéologie Soral - oui parce qu'il y en a une, même s'il se revendique, paradoxalement, d'une école de l' "esprit libre" dont il est un des garants - possède, comme dans ses vidéos où il peut prendre parti pour des choses futiles (les gémissements dans le sport, par exemple), de bonnes choses comme de mauvaises ; notamment lorsqu'il verse dans l'apologie pas trop déguisée de l'extrême droite française, en réalisant une analyse fine de la transition du PCF ouvrier au PCF jeuniste.
Ce livre donne envie de se documenter davantage, de creuser les thématiques qu'il explore, de revenir sur l'histoire coloniale de ce pays, sur l'évolution du catholicisme vis-à-vis de ce qu'il nomme le "protestantisme judéo-maçonnique" et assez comiquement le "satanisme" qui lui est associé. Oui, rien que ça. Soral fait des connexions (raccourcis ?) un peu partout, c'est sans doute ce qui fait sa force de persuasion par une sorte de logorrhée assez folle et "éblouissante". Par son style, Soral est un bon vulgarisateur et finalement un assez bon pédagogue, mais pas vraiment au sens où on peut l'entendre dans l'éducation nationale.
Allez, pour le prochain, tu nous fais une bonne dissertation bien carrée en faisant mine de chier sur les universitaires et promis on t'en voudra pas !
Adrast
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le 17 mai 2013

Modifiée

le 10 juin 2013

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