Les peurs enfantines ordinaires, dans le sens où elles sont éloignées du milieu "film horrifique", inspirent depuis des années auteurs et cinéastes. Il y a deux grandes écoles celle qui veut que l'histoire se place à portée de l'enfant ("Je suis le seigneur du chateau") et l'autre plus global par une vision élargie de l'action ("La nuit du chasseur"). Il y a bien d'autres exemples bien évidemment mais ces deux-là sont probants et bien en rapport avec "Dans la forêt".


Quoi de plus effrayant que l'inconnu ? Le terrestre par un lieu isolé, somme toute anodin, mais qui par son aspect de "repaire imaginé du mal" devient hostile et source de nombreux pièges. L'humain ensuite, celui à qui l'on est censé faire confiance et qui se révèle faillible, lâche, voire hautement perturbé.


L'image du père joue ici un rôle majeur. Même dans ses instants, dits de normalité, il n'en n'est pas moins inquiétant. On pense au Jack de "Shining" bien évidemment. Il fait l'objet de toutes les attentions du réalisateur. C'est ce qui distingue, la trame de l'angoissant à celle du merveilleux comme dans E.T par exemple où les visages des adultes traqueurs n'apparaissant qu'à la fin, le père absent était alors symbolisé par un trousseau de clés. Jérémy Elkaïm, ce père est omniprésent, notamment hors champs. Son emprise est réelle.


Le décor est tout aussi essentiel. La Suède où la barrière de la langue empêche tout contact, l'appartement du père impersonnel qui semble inhabité et la forêt inhospitalière. Mais surtout la maison "refuge" délabrée dans laquelle et autour de laquelle rode le mal (le monstre), une dualité étrange parfaitement marquée et parabolique.


Enfin l'enfant, il sont deux ici, placé au cœur de l'action qui la subit ou l'inverse. J'y reviendrais.


Gilles Marchand et Dominik Moll ont ainsi toute la matière nécessaire pour composer une trame narrative « fantastique » jouant sur l’ambiguïté (le rapport filial) et l’étrange avec les apparitions du croquemitaine (la peur). Deux niveaux de langage cinématographique qui s'entrecroisent et se complètent provoquant une impression de pesanteur incroyable. Au fond qu'est-ce qui est le plus inquiétant ?


Le spectateur est mis à l'épreuve. Il se voit contraint petit à petit de choisir son interprétation. Les deux auteurs lui donnent du mal puisque de nombreuses fausses pistes viennent étayer la confusion. Il lui faut voir alors entre les histoires pour que surgisse un sens qui n'est pas le plus probant à l'écran. Qui est ce père ? Ce monstre ? Quel est leur lien ?... Chacun y trouvant la clé de compréhension en fonction de son propre vécu, de ses propres peurs et qui dépasse le seul cadre du mode fantastique. "Dans la forêt" est avant tout un thriller psychologique de haute voltige.


D'autant plus que le trio d'acteurs est monumental. Elkaïm qui trouve enfin un rôle à la hauteur de son énorme talent qui tient autant du jeu que de sa présence, Théo Van de Voorde, le frère aîné très cartésien et enfin Thimothé Vom Dorpe.


Ce tout jeune acteur (vu déjà dans "Ce sentiment de l'été") est l'atout majeur d'un film qui s'annonçait déjà bon, mais transcendé par son interprétation. Son regard inquisiteur, ses silences son courage donnent à Tom une amplitude extraordinaire, il est la clé du récit. Et si "Dans la forêt" n'était en définitive que sa propre représentation et la perception du monde des adultes ? Les signes sont tangibles, le mutisme notamment. Le cap difficile de l'abandon de la petite enfance ("avant c'était bien") accentué à ses peurs (inconnu, diable...) n'ont-ils pas débouché sur une névrose hallucinatoire où l'on doit "tuer la père" ?


Gilles Marchand n'apporte pas de réponse. De ce scénario habilement écrit, il compose une vraie partition de l'angoisse magnifiquement mis en images, entre cadrages enveloppants, lumière asphyxiante et une bande son déroutante martelée par une musique gutturale.


Le film est incommode, perturbant, particulièrement original dans sa forme (loin des vieilles recettes du genre ou de tout jump scare). Marchand a frappé fort !

Fritz_Langueur
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le 20 févr. 2017

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Fritz Langueur

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