Les années quatre-vingt marquent un virage dans la carrière d'Hideo Gosha. Il semble délaisser l'univers violent qui avait fait sa réputation pour s'orienter vers des œuvres bien plus sensibles, voire bien plus féminines. Un changement de cap, une mutation artistique qui a de quoi surprendre et dérouter ! Personnellement, j'ai toujours eu un petit faible pour ses chanbara noirs et désabusés...et je ne vous cache pas que j'ai un peu de mal à adhérer à ces œuvres plus mélodramatiques. Dans l'ombre du loup marque le début d'une trilogie tirée des ouvrages de Miyao Tomiko et qui aborde crûment le destin des femmes dans le Japon de l'entre-deux-guerres, entre prostitution et lien avec la mafia. Si dans son second opus, Yohkiro, le royaume des geishas, Gosha avait réussi à réaliser de biens beaux portraits de femme, ici il semble se perdre en conjectures avec un récit parfois difficile à suivre et surtout beaucoup trop long.

La bonne idée de Gosha est de peindre cette société Nippone et le monde de la pègre à travers le destin de Matsue, fille adoptive d'un chef yakuza. Ainsi, en adoptant ce point de vue, le cinéaste évite les redites sur un univers maintes fois exploité par le cinéma Japonais. Des films sur les yakuzas, il y en a eu beaucoup, l'important n'est donc pas à une étude précise du milieu mais plutôt de nous les montrer sous un versant nouveau. Ainsi, avec le personnage de Matsue, on découvre des yakuzas capables d'être aux petits soins avec leurs filles mais qui peuvent également se montrer intraitable en suivant une ligne de conduite séculaire. L'exemple le plus frappant dans le film, étant sans doute l'interdiction faite à Matsue de pouvoir poursuivre ses études. Pour ces hommes la question ne se pose même pas, une fille n'a pas besoin d'étudier ! On réalise ainsi que, malgré la modernité affichée, les relents des traditions féodales sont toujours bien présents dans les esprits. La femme reste soumise aux diktats masculins et il va falloir lutter pour pouvoir s'émanciper.

L'univers féminin est ainsi très bien investi par Gosha qui diversifie ses portraits de femmes. Outre le personnage de Matsue, on découvre la belle-mère tyrannique, la demi-sœur forcément jalouse, les favorites du père qui vont entrer en conflit entre elles...bref, c'est tout un univers riche et varié qui s'ouvre à nous ! Le film prend les allures d'un feuilleton narrant les péripéties de ce joyeux monde ! C'est à partir de là que je me suis peu à peu désintéressé de l'histoire, noyé que j'étais entre les nombreux rebondissements de ce mélodrame familial ! Et puis si Gosha réussira ses portraits de femmes dans le film suivant, ici il ne fait pas toujours dans la finesse ; comme vous avez pu le deviner, les personnages ne sont pas loin d'être archétypaux et leur évolution reste limitée. On peut même se demander ce qui justifie la durée du film : presque 2h30, c'est beaucoup trop long pour nous présenter de telles intrigues.

Le sentiment est donc à la déception à la sortie de ce film, trop long et trop brouillon pour être franchement passionnant. Pourtant, tout n'est pas à oublier pour autant, les évocations du sort de la femme et du milieu yakuza restent très réussies. De même, la prestation de Tatsuya Nakadai en chef de clan est tout à fait impressionnante. Mais cette fois-ci, son charisme ne suffit pas à sauver un édifice bien trop bancal.

Créée

le 3 mars 2023

Critique lue 90 fois

Procol Harum

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