Comme un homme libre
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Comme un homme libre

Téléfilm de Michael Mann (1979)

Premier film de Michael Mann, The Jericho mile est en réalité un téléfilm qui devint un classique du petit écran au point d’être exploité ci et là en salle. Un peu comme le fut Duel, de Spielberg, quelques années plus tôt. Si dans le fond le film semble s’inspirer de La solitude du coureur de fond, de Tony Richardson, c’est pourtant à un autre auquel on songe, un grand (télé)film britannique, signé Alan Clarke : Scum. Qui aura lui aussi d’ailleurs droit à une version modifiée et augmentée pour le cinéma. Ici aussi, il y a quelque chose de l’uppercut bien sale et frontal, quand bien même Mann soit déjà tenté par une dimension plus romantique et romanesque. Quoiqu’il en soit, le film reçoit de nombreuses distinctions : Mann est lancé. Il s’agit de son laissez-passer pour le cinéma. Peu de temps après, il s’offrira James Caan, pour Thief.


 Mais revenons à ce premier essai. Tournage dans la prison de Folsom, avec notamment de vrais détenus de l’époque. D’emblée, le décor en impose. Et la précision naturaliste de ce décor a son importance. Il est immense, mais jamais clinique, au contraire il transpire, il est fait de visages, de corps, de diverses communautés ethniques, noirs, blancs, latinos, néo-nazis, formant un véritable microcosme de la société américaine. Dès l’introduction, qui capte la vie carcérale, s’immisce un peu partout, dans la cour, les cellules, les décorations sur les murs, les tatouages sur les peaux, on comprend qu’il y a des centaines d’histoires à raconter et autant de points de vue à développer. Mais c’est ce curieux bonhomme qui retient l’attention de Mann. Rain Murphy, l’homme qui court, incarné par Peter Strauss, acteur magnétique, une sorte de Kevin Bacon plus sauvage.
Comme toute prison, Folsom a ses codes, ses gangs, ses mules, ses types qu’il vaut mieux ne pas trop chercher. Murphy, lui est seul. C’est tout juste s’il parle au détenu de sa cellule mitoyenne, Stiles, qui lui, trempe plus ou moins dans le business, avec comme unique objectif les visites de sa femme et sa fille. La relation (à la fois dure et tendre) entre ces deux-là sera le ciment des films de Mann à venir. Murphy est là pour avoir tué son père, il purge sa peine, ne reçoit jamais de visite. Et quand il sort de sa cellule c’est pour courir. Il court tellement vite (le mile en moins de quatre minutes) qu’il affole bientôt le comité olympique. C’est alors qu’on vient l’entraîner à la course à pied dans l’enceinte de la prison, puis bientôt autour de la prison en vue de le faire participer aux éliminatoires officiels qui se tiendront ici même, à Folsom, sur une piste intégralement bâtie par ses détenus.
Si en plus de confirmer les attentes le rendant susceptible d’être sélectionné pour les prochains jeux olympiques, l’aventure de Murphy semble transcender les frontières raciales – piquet de grève imposé par les blancs suprématistes bientôt empêché par une armée de clans alliés – il reste un meurtrier impénitent aux yeux du comité qui espérait l’entendre revenir sur le meurtre de son père. Il devra donc se contenter d’un record pour lui, dans l’enceinte de Folsom, où la prison toute entière, réunie comme lors de la grève, en fera son grand champion. Et c’est aussi l’histoire du film que de faire coopérer les clans – Pas moins de six cents détenus faisant de la figuration, trente inclus ayant un rôle pivot – pour donner vie au récit.
Evidemment, d’un point de vue formel The Jericho mile est assez peu inventif, téléfilm oblige, mais Mann compense par une énergie folle – accompagné par cette rengaine musicale calquée sur le Sympathy for the devil, des Stones – et une captation très brute, notamment dans les moments plus survoltés (Une course, un meurtre, une bagarre, une émeute) où il déploie (en douce) une efficacité exemplaire ; Et une description très documentée de cet univers. Et surtout, via Murphy, l’écriture de Mann est déjà là, tant il condense à lui seul d’autres personnages à venir, aux desseins évidemment très différents, mais tout aussi autistes et obsessionnels. Alors oui, Mann se fait la main. C’est un brouillon, mais quel beau brouillon !
JanosValuska
8
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le 10 mai 2020

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JanosValuska

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