Close
7.1
Close

Film de Lukas Dhont (2022)

Rupture "incompréhensible" d'une amitié particulière et ce qu'il en résulte

Je sors de l'Avant-Première de Close, le deuxième film de Lukas Dhont. J'en fais spontanément la critique. Donc attention : spoilers. Mais le film n'étant pas un thriller, mais plutôt un film d'ambiance, je ne pense pas que ce soit vraiment gênant.

Alors voilà. Etant assis au premier rang, j'ai eu le réalisateur, pendant les quelques minutes de sa succincte présentation du film, à trois mètres de moi ; je l'ai étudié autant que j'ai pu. La salle étant grande et pleine (six cents personnes environ), il paraissait un peu intimidé. Sa langue maternelle doit être le flamand et il maîtrise sûrement mieux l'anglais que le français. À vrai dire, ça ne m'a pas appris grand chose de lui, sinon qu'il ne semble pas avoir pris la grosse tête et qu'il fait preuve d'une certaine franchise et presque de candeur. Je l'ai trouvé moins beau que sur ses photos, mais plus vrai ; habillé de façon à la fois un peu recherchée et... plouc. Plutôt sympathique. Naïf ?

Le film maintenant, et commençons par ce que j'ai aimé. Les sons, les images. C'est superbement photographié : les gros plans (il y en a beaucoup, surtout au début), les plans séquences, etc. (je glisse là-dessus, parce que je ne suis pas un technicien) ; et la musique est très belle, peut-être un peu trop somptueuse, mais adaptée au propos. Le casting est très bon aussi, très réfléchi. Les deux jeunes héros du film (Léo et Rémi) sont idéalement castés, et tous les ados qui les entourent sont bien et crédibles dans leurs rôles. Idem pour les parents de Léo et Rémi, surtout les deux mères (Emilie Dequesne, excellente, et Léa Drucker, très bonne). L'interprétation des deux jeunes acteurs (Eden Dambrine / Léo et Gustav de Waele / Rémi) est très bonne également et comme ils doivent avoir dans les douze, treize ans, ça veut sûrement dire qu'ils ont été remarquablement dirigés par Lukas Dhont. L'environnement visuel du film (les décors intérieurs et extérieurs) est hyper soigné et étudié, réussi. Particulièrement les immenses champs de fleurs (les parents de Léo travaillent dans ce domaine, en liaison, j'imagine, avec les fleuristes industriels et les parfumeurs ; tout ça donnant de la véracité à l'histoire) et, à l'opposé, la salle de hockey sur glace (qui apporte, elle, un climat garçonnier, de virilité, où les ados combattent, où on se casse violemment la gueule et où on se relève, où on se casse éventuellement le bras). Tout le climat qui naît de cet environnement est agréable (la photographie n'y est pas pour rien, bien sûr) ; le regard prend plaisir à s'y balader.

Venons-en à ce que j'ai moins aimé, sur lequel je suis davantage critique. Essentiellement, l'histoire proprement-dite, la façon dont elle se noue, rebondit et se dénoue (le coeur de l'intrigue). Comme elle est racontée avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse, l'esprit l'accepte. Il n'empêche que l'évènement principal du film paraît invraisemblable... tel qu'il est amené, en tout cas (d'ailleurs, le pitch du film parle d'évènement "impensable"). Le suicide d'un adolescent apparaît bien souvent incompréhensible, mais là, dans les circonstances du film, il l'est particulièrement. Que l'un des deux garçons se tue ne semble pas justifié. Dieu merci, on nous épargne les détails, on ne nous dit même pas la méthode employée (à moins que j'ai eu une absence à ce moment du film). M'enfin, on ne se tue pas pour les motifs invoqués, pas à treize ans quand on est en pleine santé, physiquement charmant et sans problème majeur évident (vivant dans un plutôt bon milieu social, un climat familial harmonieux, etc.). On ne se tue pas par - comment dire ? - dépit "amoureux", même à treize ans. Et la façon dont Léo prend ses distances et s'éloigne de Rémi n'est pas non plus crédible, en tout cas elle est mal expliquée. De mon point de vue, psychologiquement, ça ne tient pas la route.

Sinon, la suite du film étudie, assez finement et en évitant autant que possible le mélodrame, les répercussions du suicide sur l'autre garçon, celui qui reste, sur les proches (notamment la mère du suicidé), sur les lycéens de sa classe, etc. Naturellement, le survivant culpabilise, pense que c'est de sa faute, s'en veut terriblement vis à vis des parents, notamment la mère (Emilie Dequesne), de celui qui était son grand ami ++. Et puis... la vie reprendra le dessus, son cours, après une ultime scène où culminent émotion et douleur, le tout enrobé dans la musique mi-somptueuse, mi-sirupeuse de Valentin Hadjadj. Écran noir et générique de fin.

Une grande amitié liait les deux garçons, ils mangeaient ou dormaient chez l'un ou chez l'autre, dans le même lit. N'était-ce que de l'amitié ? Est-ce qu'à douze, treize ans, on fait vraiment la différence entre amitié et une sorte d'amour naissant ? Le film ne dit rien (ou très peu) et se contente de montrer. Par contre, le suicide ("impensable" et dont le caractère mystérieux m'a rappelé ceux du film de Sofia Coppola : Virgin Suicides) n'est pas montré, mais annoncé et reçu comme un coup.

Je conclus. Le scénario m'a semblé un peu léger, un peu bancal, pas vraiment satisfaisant, mais l'extrême délicatesse de son traitement, la qualité de la réalisation (casting, interprétation, photographie, mise en scène, musique) corrigent ces faiblesses et font que le spectateur, transporté dans le monde joli et délicat de Lukas Dhont, y perd beaucoup de son... sens critique.

Post-scriptum. Je suis allé revoir Close. J'ai davantage apprécié le film, et le scénario m'a semblé moins bancal que la première fois. Le héros principal Léo chuchote parfois certaines de ses phrases, si bien que deux d'entre elles, importantes, qu'il murmure à son frère (alors qu'il est allé le rejoindre dans sa chambre et son lit) m'avaient échappé lors de la première vision : "Tu crois qu'il a eu mal ?" (pas saisi le reste)" et "Il me manque", phrases qui me l'ont rendu plus humain. J'ai mieux (plus précisément) compris l'histoire la 2ème fois, mais je n'ai pas l'intention de re-écrire ma critique. Elle restera telle que je l'ai écrite après la première vision. La mort de Rémi est si stupide et dramatique (c'est un tel gâchis !) que j'en ai voulu à la fois à son ami ++ Léo et au réalisateur Lukas Dhont de l'avoir, pour l'un, provoquée et, pour l'autre, imaginée et mise en scène. C'était de ma part une réaction tout à fait puérile, mais ressentie d'instinct. Et c'est sous ce ressenti que j'ai rédigé ma critique. Preuve, en tout cas, que le film ne m'a pas laissé indifférent.

Et pour ceux que le film intéresse ou déroute, j'ajoute encore ce commentaire :

La 2ème vision m'a permis de mieux comprendre ce que Lukas Dhont a voulu dire et montrer.

Léo n'est pas préparé aux réactions des autres lycéens devant le duo qu'il forme avec Rémi ; ces réactions le surprennent, le blessent (dans son amour-propre et sa masculinité) ; il n'accepte pas l'idée qu'on puisse penser que lui et Rémi soient + que de très bons amis : un couple (ce qu'ils ne sont pas dans les faits que raconte le film... que la chose soit vraisemblable ou pas).

Craignant le regard (et les jugements) « des autres », il prend assez brutalement ses distances vis à vis de Rémi, non seulement quand ils sont en société (avec les autres lycéens), mais aussi quand ils sont seuls ; il le repousse sans explication (ni lui ni Rémi n'ayant vraiment les mots pour s'expliquer, ce sont encore des gamins). Et Rémi - qui, lui, est sans doute prêt à braver l'opinion, parce qu'il pense que sauvegarder leur relation, leur "amitié particulière", est plus important et précieux que la préservation de leur image de mecs "straight" ("normaux", hétéros) vis à vis des autres ados de leur âge - réalise soudain, douloureusement, que Léo n'a pas ce courage, peut-être parce que son "amour" pour Rémi a moins de force... à moins que ce soit simplement parce que Léo a davantage conscience du regard des autres sur leur duo (mais ça Rémi ne l'envisage pas).

Et c'est comme ça que Lukas Dhont nous explique le geste de Rémi : lui se fout du regard des autres, est prêt à l'affronter (ce qui compte d'abord et avant tout, c'est leur amitié), tandis que Léo : non.

Léo, se conformant à la morale de la majorité et acceptant leurs règles, vivra (même si plein de remord et "en manque" de son ami disparu) ; Rémi, pour qui sa relation avec Léo comptait plus que tout et désormais convaincu que la réciproque n'est pas vraie, préfère partir et se tue (probablement en s'ouvrant les veines dans la salle de bains familiale, en tout cas on peut l'imaginer). Lukas Dhont dit tout ça dans son film. Il le dit, mais en nous le chuchotant si doucement, si timidement et avec tant de délicatesse, qu'on risque de ne pas l'entendre lorsqu'on ne voie le film qu'une fois.

Fleming
7
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le 13 nov. 2022

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