Close
7.1
Close

Film de Lukas Dhont (2022)

Deux films seulement et un style déjà reconnaissable entre mille, voilà peut-être la plus belle réussite du jeune réalisateur belge Lukas Dhont. Un style à la fois sensible et viscéral qui lui permit de décrocher la Caméra d’or à Cannes en 2018, avec Girl, en sondant avec bienveillance la délicate thématique de l’identité (passage à l'âge adulte, questions relatives au genre) à travers le parcours d’une aspirante danseuse étoile transgenre (inspiré notamment par la vie de la danseuse Nora Monsecour). Un style qui se prolonge avec Close, confirmant la finesse de son regard et son appétence pour l’indétermination du genre, sans toutefois pouvoir se montrer aussi convaincant : ce portrait d’une amitié entre deux garçons, brisée par une société foncièrement normative, séduit dans un premier temps, avant de s’enliser dans les écueils du mélodrame adolescent.


Malin, voulant éviter les polémiques sulfureuses et les incessants débats sociétaux, Lukas Dhont tourne autour de la question de l’homosexualité afin de concentrer son regard sur l’angoisse propre à l’éveil du désir. Léo et Rémi, tous deux âgés de 13 ans, vivent une amitié fusionnelle qui s’épanouit à l’ombre des regards formatés et formatant de la société. Ils sont jeunes et insouciants. Leur amitié doit encore tout à l'enfance. Elle est d'une intensité qui n'a rien de conscient, d'une tendresse qui n'a rien de sexuel, n’ayant pour objet que la réitération, infiniment nécessaire, d’un attachement qui, lui, est vital. Seulement, la pureté de ces jeunes garçons en fleurs ne peut que se faner à la lumière du monde extérieur, lorsqu’une entrée au collège oblige à poser des mots sur les choses et à composer avec le regard d’autrui. Le film ne se contente pas de prendre acte de l'échec d'une telle relation au cap de la puberté, il en raconte la souffrance endeuillée due par le conformisme sociétal. L'ambivalence du titre nous l’indique d’ailleurs très bien : “close” évoque la “proximité” dans un univers dépourvu de jugement, comme l’est ce doux prologue estival, mais peut également se référer à la “fermeture” lorsque l'environnement scolaire impose... et condamne.


Mais si le regard social condamne ou enferme, celui que pose le cinéaste sur ses personnages est en tout point bienveillant, guidant le spectateur à décrypter le langage de vérité émanent du corps lui-même, de cette chair sensible insensible aux présupposés. Comme ce fut le cas dans Girl, où les pas de danse de Lara viennent dire quelque chose de son être, c’est le langage non verbal de Léo qui exprime des sentiments dont il n’a pas encore conscience. Chez Lukas Dhont, le corps est un révélateur, un indicateur qui divulgue à l’entourage ce que l’individu ignore encore.


Ainsi, la caméra se fait délicatement organique, retranscrivant à l’écran l’indicible pantomime humaine faite de ces petits riens exprimant un grand tout. Les courses effrénées dans les champs de fleurs, les jeux innocents ou les fausses bagarres, expriment le bonheur insouciant tout en invitant le spectateur à guetter les signes annonciateurs d’un amour naissant. Mais le plus remarquable demeure, sans doute, la manière avec laquelle Lukas Dhont fait du corps de Léo la toile vivante sur laquelle reposent ses velléités expressionnistes : la caméra à l’épaule et les travellings étant chargés de relayer sa trajectoire personnelle (course à pied, à vélo...), tandis que les longues focales et les lumières naturalistes laissent entendre l’éloquence muette des visages et des silhouettes. À travers l’opposition - certes peu subtile - entre paysages idylliques de l’enfance et milieu scolaire, on devine l’avènement de la désharmonie, avec ces gestes hésitants, ces visages fermés, ces attitudes désynchronisées...


Jamais verbalisée, par souci de pudeur sans doute, la séparation des deux garçons s’invite à l’écran par le biais de son essoufflement. La belle idée, en effet, pour nous montrer la fin de la relation et le cheminement vers autre chose sera de se focaliser sur ces effluves indicibles marqueurs d’un souffle au cœur : un souffle de vie que l’on partage entre amis, à travers un murmure échangé sur l'oreiller ou des histoires que l’on chuchote dans l’obscurité, un souffle que l’on préserve fragilement à la clarinette ou sur un vélo, avant qu’il ne vienne à manquer lorsque la tragédie vous souffle littéralement. Un souffle que l’on tente de reprendre, alors, lors de ces moments de pause, de contemplation, avant de s’élancer vers un nouvel horizon, comme le symbolise les différentes courses sportives. Certes, les séquences montrant Léo s’adonner à la pratique du hockey sur glace – sport viril par excellence – ne sont pas d’une grande subtilité. Mais elles permettent d’imager avec efficacité la violence du choc reçu par Léo, ainsi que sa stratégie d’adaptation : ce casque grillagé et cette tenue épaisse sont autant de barrières qu’il érige entre son être et le reste du monde...


Un essoufflement, malheureusement, qui s’avère un peu trop contagieux, puisqu’il finit par gagner l’entièreté du film : rapidement, il ne se passe plus grand-chose à l’écran car tout a été dit dans la première partie (la fin de l’innocence, l’apprentissage de la solitude...). Une défaillance symbolisée par cette narration dyspnéique qui se contente de collectionner les sempiternelles mêmes saynètes (domicile, école, hockey...). Pour tenter de retrouver son souffle, le récit tente alors de forcer l’émotion du spectateur en s’appropriant les codes et poncifs du mélodrame : le film devient alors affreusement prévisible, programmatique, en multipliant les symboliques faciles, les plans sur les visages fermés, tout en usant de violons lancinants. Quant aux silences, ils sont souvent assimilables à de l’afféterie, leur multiplication ne suffit pas à donner l’illusion de la profondeur...


Et finalement, c’est notre empathie à l’égard des personnages qui s’essouffle, tout comme notre patience à l’encontre d’un cinéma qui nous avait pourtant procurés de belles émotions. Cette distance que l’on ressent est aussi entretenue par ces choix de mise en scène qui éclipsent de l’écran certains personnages (les maris, le rôle de Léa Drucker qui semble dérisoire à côté de celui d’Émilie Dequenne...). On peut s’interroger également sur cette démarche qui consiste à ne pas aborder frontalement la thématique homosexuelle (rien n’est jamais formulé en ce sens) et qui déçoit en semblant esquiver le sujet. Globalement, c’est Close qui finit par décevoir en ne sachant pas entretenir les promesses initiales, l’élégance et le tact avec lesquels l’émotion grandissait à l’écran. Pas de décharge émotionnelle, ici, juste des regrets que vient symboliser cette dernière scène, ce regard porté vers un hors-champ endeuillé, qui a tout du cliché épuisé...


(5.5/10)

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le 7 nov. 2022

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Procol Harum

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