Ce Circus Maximus serait assez oubliable et inoffensif s'il appartenait à la longue série préexistante de clips à ambition cinématographique. Découlant naturellement d'albums à concepts, ou du moins d'albums se voulant au-dessus de simples mix-tapes, on a vu beaucoup de rappeurs, particulièrement américains, s'y jeter, à la recherche d'une identité esthétique ou de la fameuse « direction artistique », depuis Coolio et son Gangsta's Paradise jusqu'à Kendrick Lamar en passant par Kanye West. Plus ou moins réussis, ces clips, cherchant une pureté visuelle, retombant souvent dans la commercialité inhérente du médium de marketing, restaient cependant toujours des clips, c'est-à-dire des extensions visuelles d'univers musicaux, sans jamais réellement se prétendre œuvre à part, surtout, sans jamais que les artistes ne s'improvisent réalisateurs. Circus Maximus est tout autre : non seulement tombe-t-il dans le simple collage commercial, clip après clip, non seulement se prétend-t-il pourtant film, et grand film, de l'aveu de ce chapitrage grandiloquent évoquant les mimiques simultanées d'une odyssée mentale et d'un spectacle total, mais il est surtout l’œuvre d'un réalisateur qui s'improvise, d'un homme qui pense se faire grand artiste en aspirant l'âme de cinéastes mondiaux.


Faut-il se morfondre que les œuvres de Gaspar Noé, Nicolas Winding Refn, Harmony Korine, entres autres, soient ainsi vidées de toute leur substance, ou se réjouir que Travis Scott, le malfaiteur artistique, nous illumine le joli vide qui se cachait dans leurs tréfonds ? L'on ne saurait donner une réponse générale, et les noms dévoileront à chacun un semblant de réponse, mais il faudra surtout constater, comme souvent déjà auparavant, la facticité qui demeure dans les aspirations hollywoodiennes à l'esthétique. Car s'il y a bien un point commun entre les différents cinéastes récupérés par Circus Maximus, c'est un studio de production, A24, et la réalité industrielle derrière les lambeaux d'une ambition artistique américaine qu'elle représente.

De fait, si ce film-là n'est pas produit par la firme, malgré un amalgame rapidement diffus mais assez révélateur, Scott est bien attaché à un autre projet avec elle, et toujours avec Korine. C'est ainsi d'une part et d'autre le commercial qui cherche un nouveau terrain de domination esthétique dans le cinéma d'auteur et le cinéma d'auteur qui se complaît (financièrement, intellectuellement) dans la commercialité.


Au fond, comme celui-ci cherche à tout récupérer, se targuant même de ramener « Guy-Man from France », à crever l’œil de son spectacle maximaliste, peut-être faut-il alors revenir à ce centre créateur, à ce gouffre artistique, Scott, pour comprendre les abysses d'un tel pacte faustien. De la musique, dans laquelle il n'a ni la sincérité d'un West ni la « D.A. » d'un The Weeknd, au cinéma, le pantin, comme il s'affichait sur la pochette de son album Rodeo, cherche avant-tout à divertir, à impressionner par le spectacle, sans se soucier de son aspect le plus morbide (la tragédie d'Astroworld n'est ici pas réfléchie mais uniquement name-droppé dans le simple et rapide doute de la capacité du rappeur à « rage ») : le titre Circus Maximus serait ici d'autant plus intéressant si justement Scott n'abandonnait pas dans son album, UTOPIA, toute dimension critique d'une telle arène musicale. Dès lors, celui-ci s'évertue à tenter dans les quarante dernières minutes de remplir cette arène, de vivre dans son vide, en vain, jusqu'à la fin, où lui-même vidée, il n'ose même pas nous accorder un regard du dehors. L'évidence résonne alors, et c'est cette performance de sur-place qui finit par séparer Scott, qui s'objectifie sans remise en question, de l'expression artistique d'un Lamar, et le fourre-tout aseptisant Circus Maximus d'un Live at Pompeii. Ce court film, sans même l'once d'une prétention cinématographique, se cataloguant simple retransmission d'un concert, était justement une évidence de cinéma, évoquée tout naturellement par les douces notes de Pink Floyd, se démarquant sans grossissement de trait au sein de cette antiquité.

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le 22 août 2023

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