Vouloir s’extirper du quotidien, s’échapper d’une société tentaculaire dans laquelle on est enfermé, rien de plus normal quand on est un humain normalement constitué et qui tient à son indépendance. Quand on vit dans une grande ville comme Paris, on est souvent en proie à ce mal, lorsque l’on prend les transports en commun, et quand on a la désagréable impression de n’être qu’un petit pion au milieu d’une foule gigantesque et oppressante. C’est quelque chose que je vis au quotidien et Chute Libre semble, avec son pitch, se présenter comme une sorte de cure à ce mal, un défouloir qui fait du bien. Mais à quel point Joel Schumacher arrive-t-il à gérer cet exercice ?


Les embouteillages. Un bon point de départ pour un pétage de plombs en bonne et due forme, qui constitue la charnière centrale de Chute Libre. William Foster, campé par Michael Douglas, est le parfait quidam pour affronter les injustices d’un quotidien et d’un monde impitoyables. Joel Schumacher décide de faire rapidement passer ce modeste employé de bureau d’un bonhomme sans histoire à une véritable machine n’ayant pour seul objectif que de faire l’apologie de la défense du quotidien. Mu par cette rage aveugle et destructrice qui sommeillait en lui depuis longtemps, armé d’une batte puis d’une mitraillette, il symbolise ce ras-le-bol muet mais pourtant bien présent de nombreux individus se sentant lésés et menottés par la société. Cet aspect inlassable de la quête destructrice de Foster montre d’ailleurs à quel point ce malaise et ce malheur latents peuvent être puissants à force d’être refoulés.


Toutefois, si le film tend à aborder une thématique très intéressante et on ne peut plus d’actualité, autant à l’époque que vingt-cinq ans après, il semble peu à peu diverger vers quelque chose de plus déconstruit et moins évocateur. Foster n’est pas le justicier social que l’on attendait, mais plus une sorte de machine destructrice construite de toute pièce par la société et le modèle américain. Il n’a finalement d’égard que pour peu de monde et son action finit par être justifiée par des troubles d’ordre plus psychologiques et personnels, empêchant un réel traitement des dangers d’une société devenue bien trop orientée vers le travail et la consommation, au détriment du développement humain.


Chute Libre se construit avant tout sur l’injustice, transformant la victime en Némésis, faisant d’un homme sans histoires un monstre déshumanisé, une sorte de soldat des rues au courroux implacable. Son opposition au personnage de l’inspecteur, lequel se retrouve dans un mélange d’incompréhension et d’amusement face aux agissements de Foster, permettent d’exposer un autre regard qui contribue à aliéner le personnage de Foster, qui s’est volontairement désolidarisé de la société, et qui est perçu par cette dernière comme une menace.


Mené avec une maîtrise certaine, Chute Libre est à la fois un défouloir et source de malaise. Il brise un homme sur l’autel de la société pour chercher à montrer à quel point celle-ci peut être pleine défauts. Toutefois, sous son couvert de film de justicier solidaire, il tend à desservir son propre propos en tirant sur la corde raide et en allant presque jusqu’à, finalement, prendre le parti de la société elle-même. Le tout mène en définitive à un résultat dont on dira qu’il était détonant, notamment porté par un excellent Michael Douglas, mais on aurait aimé que le film prenne une autre tournure au vu du potentiel qu’il suscitait.

JKDZ29
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le 3 janv. 2018

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