Depuis le temps que je voulais voir un film de Roy Andersson.


J'avais juste saigné les bandes-annonces, qui étaient magnifiques parce qu'elles retranscrivaient à merveille ce style unique et jamais vu.


Et en fait, un film de Roy Andersson, c'est une bande-annonce de 1h40 d'un film de Roy Andersson. Parce que y'a pas tant d'histoire que ça, y'en a une pour faire genre, mais on s'en fout, on pourrait très bien regarder le film sans sous-titre. Une succession de saynètes qui sont reliées entre elles par des bouts de ficelles, genre une scène où 2 personnes discutent, elles parlent d'une 3ème personne, et cut sur une toute autre scène mettant en scène cette 3ème personne. On vagabonde ainsi entre pleins d'habitants d'une même ville -dans laquelle il y a un embouteillage constant. De ce fait, il n'y a aucun personnage principal, et, de ce fait, on regarde forcément le film de manière détachée, comme si on déambulait dans un musée, passant de tableaux en tableaux. C'est quelque part l'idée du truc, on est pas partis pour s'attacher émotionnellement aux personnages, pour vivre un truc fort. Enfin si, on rit, parfois, mais c'est le genre d'humour bizarroïde que j'adore où il se passe quelque chose d'étrange, que tout le monde a l'air de trouver normal, et donc tout le monde reste indifférent, et excessivement neutre, du coup toi-même tu ne sais pas si tu dois rire ou pas. J'adore.


Chaque plan est un tableau de Hopper, c'en est époustouflant, je ne sais pas comment on peut rendre une chambre aux murs gris aussi belle. Et parfois même encore plus loin, et méta, certaines parties du décors sont carrément peintes, et intégrées dans un décor normal, ce qui crée visuellement un truc unique, magnifique, limite fantastique.


Ce film est, au sens propre du terme, une vraie leçon de cinéma, car tout y est extrême. Chaque scène n'est qu'un plan fixe, donc on voit comment le gus choisit son cadre unique pour montrer ce qu'il a à montrer. Il n'y a qu'un seul mouvement de caméra dans le film, par conséquent il est ultra mis en valeur et on ne voit que lui. On voit du coup le montage, car chaque cut t'emmène dans un décor totalement différent, et en parlant décor, chaque décor est ultra travaillé, ultra détaillé, tout est calculé, tout est peint exprès pour avoir la même teinte blafarde. Pour ce qui est de la mise en scène, c'est limite si les centaines de figurants n'ont pas un rôle plus importants que les personnages principaux de la scène. Parfois je passais une scène entière à fixer l'arrière plan, car une foule de manifestants s'auto-fouettant était plus scotchant à regarder que des assureurs hébétés dans un magasin cramé. Tous les personnages se déplacent hyper lentement, par conséquent chaque déplacement est mis en valeur. Chaque action s'enchaîne l'une après l'autre, et ce sur 3 niveaux de plan différents. À la fois il ne passe quasi rien, le film semble être dans une sorte de coma étrange, et à la fois ça fourmille de partout. Si vous voulez voir comment orchestrer de la comédie, c'est du pain bénit. Et enfin, en terme de direction d'acteurs aussi, je veux dire : tout l'art du non-jeu est présent. Cette mélancolie constante, ce sentiment total d'être dépassé par les évènements, cette fatigue qui rend indifférent, comme si on ne comprenait plus du tout ce qui se passait autour de nous mais qu'on continuait tout de même, pour jouer le jeu.

Créée

le 14 avr. 2018

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Zliott

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