Avec “Cemetery of splendor”, Apichatpong Weerasethakul apporte une vision de la vie, et par là même de son aboutissement, d’une densité inouïe, une sorte de pierre philosophale qui viendrait la prolonger au-delà du naturel et du rationnel. C’est une espèce de chocs de cultures où les croyances, la religion, la tradition, la sagesse et la conscience fusionnent pour donner une œuvre profondément mystique, en totale opposition avec la mort matérialiste, où l’existence et le vécu se prolongent à l’infini.


Jenjira, est bénévole pour un hôpital de seconde zone, lieu chargé d’histoire puisqu’il s’agit de son ancienne école qui a été réhabilitée. Vivant petitement, généreuse, et d’une pureté d’esprit sans égal, elle va se prendre d’affection pour Ltt, un des patients de la salle des soldats tous plongés dans un sommeil profond. Un mystérieux cahier va lui ouvrir des portes qu’elle ne soupçonne pas.
Ce personnage de Jenjira est hautement symbolique. D’un point de vue terre à terre, elle est un témoin d’une Thaïlande traditionnelle, la mémoire d’un passé (conflit avec le Laos en 1987/88) mais affiche un esprit résolument moderne (en union libre avec un américain) emprunt de tolérance et de générosité (don de soi et d’écoute). Ce sont toutes ces qualités qui font d’elle, un peu à son insu, une « passeuse d’âme ». Elle sera aidée dans sa mission par un certain nombre de guides.


« Cemetery of splendor » par son approche totalement apaisée suspend le temps et nous fait pénétrer dans un univers intra dimensionnel, hautement spirituel et profondément philosophique, une espèce de parcours inversé d’Orphée.
Apichatpong Weerasethakul y apporte un soin tout particulier, notamment au niveau d’une construction ingénieuse d’un récit à tiroirs, retenant des cadrages (composés le plus souvent de plans fixes) lénifiants (à la limite de l’appesantissement) et des décors presque hors du temps, avec une « société urbaine » toujours en perspective (présente et à la fois très éloignée).Quant aux acteurs (Jenjira Pongpas en tête), ils accentuent par leur jeu épuré, l’état de rêve éveillé dans lequel le film plonge le spectateur.


Mais ce qui rejaillit le plus, c’est cette incroyable mélancolie qui immerge chaque plan. Apichatpong Weerasethakul aime profondément la Thaïlande, ses traditions et sa culture populaire, son entité historique, ses souffrances. Il ne s’oppose pas à l’émergence économique de son pays qui semble faire table rase de tout, ce qu’il regrette. A sa manière, il contribue au travail de la mémoire collective. Pour Jenjira comme pour lui, la sérénité et la prospérité ne s’acquièrent uniquement si présent et futur ont su conjugué le passé.


« Cemetery of splendor » n’est pas un film facile d’accès, mais si l’on se laisse transporter, alors on en ressort bouleversé.

Fritz_Langueur
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le 3 sept. 2015

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Fritz Langueur

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