Quand Polanski sort un nouveau film, ça fait toujours sensation; en effet, ne sachant pas s'il va mourir bientôt ou plutôt moisir dans une prison pour une quelconque affaire de pédophilie, le spectateur averti foncera toujours voir ses nouveaux films comme s'il s'agissait du dernier...

Par la mise en scène, notre polonais préféré prouve qu'une adaptation de cette pièce de théâtre a lieu d'exister sur grand écran; en effet, son utilisation de la caméra est toujours bien pensée et surtout, Polanski joue avec l'espace: jamais on ne se retrouve perdu et le moindre changement de pièce équivaut à un changement de monde. Ainsi, j'aurai rarement vu un couloir aussi sinistre.

Le problème du film vient de son scénario. Le film dure 1h20. Mais pourquoi pas 20 minutes? En effet, le message et les thématiques sont vite abordées et tout aussi vite comprises. Au-delà de la demi heure, seul l'énervement des acteurs évoluent vers l'hystérie; plus rien ne change, le spectateur n'aura rien de plus à manger. Les dialogues ont beau être fins, c'est toujours la même conclusion qu'il en ressort, sur cette absence de manichéisme , le fait que tout le monde finalement est coupable de quelque chose. Si, tout de même, le plan final apporte une donnée en plus. C'est intelligent, c'est fin, c'est bien. Mais comme dit plus haut, pourquoi ne pas avoir placé ce plan 30 minutes plus tôt? Voire une heure? Ca n'aurait rien changé.

Ensuite il y a cette distance par rapport à l'histoire. Ce n'est pas technique non, comme expliqué, Polanski s'efforce de nous faire vivre dans cet appartement (en sortant du film, le spectatreur pourrait en rédiger le plan). Le problème vient qu'il n'y a pas d'identification, pas d'attachement. Dans un premier temps oui: on a deux couples/unités qui s'affrontent, le spectateur peut choisir avec qui il tient. Et ainsi on ressent le conflit de l'un ou de l'autre. Mais une fois les groupes éclatés et reformés, le spectateur se perd: il n'a plus son couple/unité pour lui s'identifier. Pire, il s'aperçoit que ceux pour qui il s'était attaché créent des problèmes.

Ce n'est pas une question de morale. N'importe quel personnage, aussi méchant soit il, peut susciter de l'empathie au cinéma à la simple condition qu'il subisse des épreuves que le spectateur va vivre avec, comme si ces épreuves lui étaient en fait destinées, assis dans sa salle obscure (ainsi, le spectateur a peur pour Norman Bates quand il tente de cacher le corps de la jeune femme sans être vu). Dans Carnage, le spectateur vit ces épreuves comme tel dans un premier temps... et puis se rend compte qu'il n'y en a plus: il s'agit dès lors d' une joute verbale qui tourne en rond, et dont il ne ressort aucun personnage. Au final, le groupe des 4 peut être considéré comme une seule et même personne que l'on filme et qui se prend la tête intérieurement, tout seul. Pas de conflits , juste de la prise de tête. Du coup, pas d'empathie.

Les dialogues sont pourtant drôles ; la façon dont chacun des personnages arrive à exacerber l'autre est trucculente. Mais on se lasse. parceque la conclusion arrive longtemps avant la fin du film. Il n'y a plus qu'à écouter ces phrases vides finalement, puisqu'elles n'apportent rien de neuf.

Un autre phénomène qui a participé à mon ennui durant l'évolution du film, c'est la montée crescendo. Je préfère un film en dent de scie. C'est à dire avec des scènes fortes, puis une retombée, puis une autre scène forte, etc.... et jouer sur l'intensité des scènes fortes afin de donner un rythme. Il est des films plats pendant une heure et puis qui deviennent de véritbales montagnes russes dans la dernière demi heure: ça me plaît aussi. Carnage, c'est juste une montée. Ca monte oui, mais de moins en moins abruptement. Et le final? Pas de final. Juste une phrase qui a été répétée plusieurs fois déjà au cours du récit, et la résurrection du running gag. Aussi simple que ça. Pas d'évolution des personnages, pas de gros Boum, juste une rupture nette amenée par un plan extérieur,

L'interprétation des acteurs est plutôt bonne au départ mais se détériore en même temps que le propos. Au final, il ne leur reste plus que les cris et pleurs pour faire exister l'histoire (Jodie Foster est certainement la plus bluffante de tous), ce qui est tout de même dommage. Par exemple, à partir du moment où ils sont tous bourrés, j'avais juste l'impression d'assister à une farce où il suffit de crier, parler fort et s'engueuler pour faire rire. Et finalement la subtilité et la nuance se sont évaporées.

Bref , un film dont je ressors mitigé à cause d'un mauvais scénario mais grâce à une bonne mise en scène ; finalement la bande annonce résume le propos, et fait suffisamment rire pour ne pas devoir s'infliger ce scénario insipide.
Fatpooper
5
Écrit par

Créée

le 19 janv. 2012

Critique lue 1.4K fois

19 j'aime

13 commentaires

Fatpooper

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

19
13

D'autres avis sur Carnage

Carnage
Sergent_Pepper
3

De l’esthétique du catalogue.

Le théâtre filmé du récent Venus à la fourrure, d’une grande intelligence, subtil dans la réflexion portée sur l’adaptation, la littérarité d’une œuvre à l’épreuve de son incarnation, ne pouvait que...

le 28 nov. 2013

47 j'aime

2

Carnage
guyness
7

Le clafoutis poire-pomme, de discorde.

Ah ! Les charmes ineffables du cinéma contemporain. En voyant carnage, je ne me suis à aucun moment demandé ce qui avait poussé Polanski à mettre en image cette pièce de Yasmina Reza. Certes, ces...

le 13 avr. 2012

44 j'aime

6

Carnage
Ligeia
8

Carnage adouci

Sur la forme, le tournage en quasi temps réel et les répétitions qui ressemblent à du théâtre, le film, adapté d'une pièce justement, offre un crescendo très rythmé vers le poison et les tensions qui...

le 8 déc. 2011

44 j'aime

10

Du même critique

Les 8 Salopards
Fatpooper
5

Django in White Hell

Quand je me lance dans un film de plus de 2h20 sans compter le générique de fin, je crains de subir le syndrome de Stockholm cinématographique. En effet, lorsqu'un réalisateur retient en otage son...

le 3 janv. 2016

121 j'aime

35

Strip-Tease
Fatpooper
10

Parfois je ris, mais j'ai envie de pleurer

Quand j'étais gosse, je me souviens que je tombais souvent sur l'émission. Enfin au moins une fois par semaine. Sauf que j'étais p'tit et je m'imaginais une série de docu chiants et misérabilistes...

le 22 févr. 2014

115 j'aime

45

Taxi Driver
Fatpooper
5

Critique de Taxi Driver par Fatpooper

La première fois que j'ai vu ce film, j'avais 17ans et je n'avais pas accroché. C'était trop lent et surtout j'étais déçu que le mowhak de Travis n'apparaisse que 10 mn avant la fin. J'avoue...

le 16 janv. 2011

103 j'aime

55