A ce stade-là, on ne présente plus la machine de guerre Marvel Studios, donc l’introduction sera brève. Captain America premier du nom faisait partie de la Phase 1, dans le but d’introduire le personnage, ce qui n’était pas chose aisée tant son potentiel de ringardise est élevé, mais le tout s’était avéré être une plaisante surprise. Fun, pas prétentieux, pas si idiot que ça sur le patriotisme, j’en garde un bon souvenir. Ce second opus a la lourde tâche de s’inscrire dans le post-Avengers avec tout ce que ça sous-entend de sérieux, d’attente et de liens à gogo avec le reste de l’univers Marvel (MCU pour le cinéma pour faire simple).

Difficile de se dire qu’il y a tout juste une quinzaine d’années, les seuls superhéros correctement adaptés au cinéma étaient Superman et Batman, en gros les plus connus. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi c’est comme essayer de me rappeler comment on regardait des vidéos avant Youtube, ça paraît trop lointain. Après l’énorme échec autant critique que public de Batman & Robin en 1997, il a fallu attendre un peu avant que la machine reparte. Durant les années 90, trois projets majeurs de superhéros Marvel flottaient dans les limbes hollywoodiennes, réputés inadaptables car demandant un budget faramineux : X-Men, Spider-Man et Les 4 Fantastiques. Après un nombre incroyable de traitements différents, de réécritures et de délais, c’est finalement le jeune Bryan Singer, auréolé du succès d’Usual Suspects, qui acceptera de porter à l’écran la fameuse troupe de mutants.

En parallèle, le projet de Spider-Man a vécu les mêmes rebondissements sans fin, et après avoir eu James Cameron pressenti pendant des années, ce fut Sam Raimi qui en hérita. Ces deux films, pour lesquels j’ai beaucoup d’affection et qui restent parmi les meilleurs films de super-héros avec leurs deux suites respectives, ont malheureusement la responsabilité d’avoir ouvert la boîte de Pandore en matière d’adaptations. A quelques exceptions près, à savoir Ang Lee pour Hulk, Guillermo Del Toro pour les Hellboy et Christopher Nolan pour les nouveaux Batman, peu de réalisateurs dignes d’intérêts furent appelés ou intéressés par la vague, pour ne pas dire le tsunami de super-héros qui allait déferler. Tout ce qui était plus ou moins adaptable y est passé sur une période d’à peine 5 ou 6 ans, résultant en un engorgement du genre et un certain désintérêt du public pour les adaptations vite fait mal fait telles que Ghost Rider, Les 4 Fantastiques, Elektra et j’en passe.

Les tentatives d’aller plus loin, avec des personnages plus sombres, dans des films comme The Dark Knight et Watchmen furent saluées, mais ce dernier marqua également la mort prématurée des blockbusters matures et sanglants en raison de son semi-échec. La seconde vague de super-héros devait venir de Marvel Studios, qui rachetait une à une ses précieuses licences pour mieux contrôler les futures adaptations et les inclure dans un univers, le MCU donc. Louable intention, mais qui se traduisit en premier lieu par une salve de films à la qualité et à l’intérêt inégaux, dont le meilleur reste Iron Man. L’aboutissement de cette Phase 1 avec Avengers semblait tout à fait logique et j’avais beaucoup apprécié ce dernier.

Par contre, ce qui m’avait déjà beaucoup plus gêné avec leur suivant, Iron Man 3, c’est que l’on sentait déjà un manque de personnalité à beaucoup de niveaux, alors que l’on disposait d’un Shane Black à la réalisation. Pour Thor 2, un des réalisateurs oeuvrant sur Game of Thrones fut placé à la barre, mais suite à de nombreux différends il n’eut pas son mot à dire sur le montage. Voilà qui devient déjà gênant et qui semble confirmer que Marvel Studios ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre aux créatifs. Enfin, pour ce Captain America, le choix s’était posé sur les frères Anthony et Joe Russo, réalisateurs et producteurs sur la série Community. Quel semblant de sens derrière une telle décision ? Je suis pour laisser le bénéfice du doute à de possibles talents en devenir, mais il y a tout de même des limites.

C’est pour cela que je profite de ce film pour en faire non pas une critique « classique », mais pour faire un point sur la production de films de super-héros, après ce petit historique qui j’espère ne vous aura pas fait fuir. En bref, tout ça pour dire que j’aime pas mal de films de super-héros et que le potentiel est assez énorme dès qu’il y a quelqu’un de talentueux derrière le projet. Ce deuxième épisode cristallise à lui seul pourquoi les films Marvel divisent tant, surtout depuis Avengers, les amateurs de l’univers et les cinéphiles (évidemment, certains font partie des deux et doivent choisir leur camp).

Pour les premiers, le film s’inscrit dans une logique de fan service total (je ne dis pas ça péjorativement), en adaptant une histoire intéressante, en multipliant les personnages de l’univers, les clins d’oeil dans tous les sens, les scènes d’action explosives et les traditionnels bonus de fin après le générique. C’est même un peu moins banal/idiot que d’habitude niveau trame d’ensemble en nous proposant un ennemi intérieur qui change des méchants terroristes et des génies humiliés en quête de vengeance (même si la fin endommage fortement cette ambition initiale). Le tout a même un rythme plus que correct avec ses nombreux rebondissements qui fait qu’on ne s’ennuie pas malgré la durée conséquente.

Le problème de taille, c’est qu’à peu près toutes les autres composantes du film se révèlent assez faibles. La seule qualité de la bande-son est d’être anecdotique, nous évitant la cacophonie d’un Iron Man 3. La photographie est inexistante, des tons grisâtres et pâlichons, contrastant très fortement avec l’identité du premier, flagrant lors des flash-backs. Je conçois que ce soit certainement voulu pour coller à l’époque et au côté plus « sombre » du film, mais par rapport à un The Dark Knight, c’est tout de même bien moche.
Parmi les acteurs, les habitués se débrouillent correctement, mais il est assez triste de voir un Robert Redford qui semble perdu dans son rôle après sa performance bluffante dans All Is Lost. Il ne semble jamais convaincu par ce qu’il dit, et on le comprend car les dialogues ne volent pas non plus très haut. Signalons tout de même le passage hilarant de début de film avec des terroristes français qui ont pris en otage un bateau, dont le chef parle avec un fort accent québécois, mais dont on dit par la suite qu’il est en fait algérien ! Entre ça et de magnifiques phrases comme « Partez le bateau ! », on sent le professionnalisme du truc dès le début.

Mais le vrai fléau qui plombe totalement ce film reste la mise en scène, de loin. Comme dit plus haut, les frères Russo ne semblaient pas un choix des plus pertinents pour un film de super-héros, en venant d’une sitcom, et cela se confirme à tous les instants. Passe encore sur les phases de dialogues, du champ/contre-champ scolaire à gogo, mais les scènes d’action sont un vrai massacre à ce niveau-là. Cédant à la mode de la caméra qui gigote dans tous les sens pour donner une impression de « réalisme » et de nervosité, les frères Russo semblent s’obstiner à rendre illisible combats, fusillades et poursuites, qui pourtant ne manquent pas d’idées. La gamin fan de super-héros en moi aurait été ravi si le tout avait été filmé correctement, au lieu d’avoir les yeux qui saignent à cause d’un montage épileptique et d’une 3D ignoble.

Dans tout ça, le meilleur exemple de la fracture dont je parlais plus tôt reste ce fameux Soldat de l’hiver tant annoncé. Je n’ai pas lu les comics, mais de ce que j’ai compris il y avait un certain impact au fait que ce soit Bucky qui se révèle être un adversaire redoutable du Captain, car on suivait les personnages depuis un moment. Dans le film, cet impact est proche du néant car le personnage n’avait pas tant d’importance dans le premier, je ne me rappelais pas de lui, du coup on nous met la dose de flashbacks pour insister sur leur amitié passée. Rien à faire, ça ne marche pas, il n’y a aucune émotion qui se dégage du truc car on n’a pas investi dans ces personnages ou leur relation par le passé. C’est là qu’on voit à quel point le film s’adresse aux fans, les seuls à pouvoir compléter les gros blancs laissés dans le scénario, qui font du Soldat de l’hiver un simple méchant masqué et muet, qui tente d’être vaguement badass mais ne fait jamais bien peur.

Ceux qui se foutent royalement de l’aspect technique en auront eu pour leur argent, par le gigantesque brassage de l’univers Marvel qui est effectué, les annonces de futurs films en filigrane (Doctor Strange cité notamment), les références, l’action, les blagues et ce qui est teasé pour la suite. Ceux qui s’y connaissent peu et veulent voir un bon blockbuster risquent bien plus d’être déçus tant l’impitoyable machine Marvel continue à tout écraser sur son passage, sans recherche de qualité particulière. Tant que ça marche, pourquoi se priver ? Les frères Russo ont d’ores et déjà été confirmés sur Captain America 3 et Kevin Feige, patron du studio, a annoncé avoir des projets planifiés jusqu’à 2028.

Malgré tout ça, je crois fortement dans les Guardiens de la Galaxie, qui s’annonce bien fun et totalement second degré, et Ant-Man grâce à Edgar Wright, qui saura très certainement en faire quelque chose de génial. Le fait qu’il y ait des gens un minimum doués et que les personnages soient nouveaux à l’écran joue pour beaucoup, à côté les énièmes suites me semblent beaucoup moins alléchantes s’il n’y a pas d’efforts conséquents sur la qualité.
blazcowicz

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