Fury
6.7
Fury

Film de David Ayer (2014)

Si vous êtes un minimum amateur du genre, vous ne devez pas être sans savoir que le film de guerre est une espèce en voie de disparition. Il faut remonter à Démineurs pour la guerre moderne et au dyptique Iwo Jima pour la Seconde Guerre Mondiale si on veut trouver des œuvres de qualité, ce qui remonte déjà un peu. Et là surprise, c’est David Ayer qui après un piètre Sabotage probablement tourné par-dessus la jambe nous offre un film se concentrant sur l’équipage d’un tank à la fin du conflit, et promettant une approche sans concession.

Fury est un film pétri d’influences diverses, et pas des moindres. Autant aborder ça dès le début pour éviter le name-dropping un peu lourd étalé sur toute la critique (du moins c’est mon raisonnement). Il est évident dès le début que Sam Peckinpah a été une influence majeure avec Croix de fer, un autre film montrant des hommes sales, usés et se traînant dans un enfer de boue à longueur de journée, de plus une référence visuelle est trouvable. On pense également à La Horde sauvage et par extension John Rambo qui s’en inspirait, pour leur violence physique et morale ainsi qu’un acte précis du film. On retrouve quelques inspirations du côté d’Il faut sauver le soldat Ryan pour les situations et la progression, et peut-être plus étonnamment de La Chute du faucon noir pour l’impact visuel et sonore des combats, la violence crue et l’absence de tout patriotisme. Enfin, difficile d’oublier Le Bateau de Wolfgang Petersen qui nous embarquait avec l’équipage d’un sous-marin. Ici l’accent est beaucoup moins mis sur la claustrophobie de cet espace confiné, mais l’aspect découverte du quotidien de ces soldats reste dans la même optique.

On pourrait donc se dire qu’avec tout ça le film manque de personnalité, ce n’est heureusement pas le cas. David Ayer pose une vraie ambiance dès les premières scènes, définit bien ses personnages sans trop en faire, ce qui reste primordial vu qu’on s’apprête à passer deux heures avec eux. Les enjeux sont simples : tuer des nazis jusqu’à gagner la guerre. Ici pas de fleur au fusil, pas de grandes tirades sur la guerre, pas de sentimentalisme déplacé, les gueules sont burinées et les esprits apathiques après toute l’horreur dont ils ont été témoins. Au lieu d’avoir tout un groupe de soldats découvrant l’enfer de la guerre comme c’est souvent le cas, on a ici un petit nouveau remplaçant l’artilleur du groupe qui va permettre l’identification au spectateur.

C’est d’ailleurs par lui que va passer une grande partie de la violence psychologique du film. On aura rarement vu un personnage « neutre » en prendre autant plein la gueule que dans ce film, de façon assez justifiée puisque l’équipage du Fury ne veut pas d’un bleu qui mettrait leurs vies en danger par ses erreurs. Les autres membres se montrent extrêmement durs avec lui, personne n’a le beau rôle tout simplement parce qu’il n’y a pas de place pour ça dans de telles conditions. Entre ceci et la violence physique montrée sans détours (attention aux âmes sensibles), le film se montre implacable avec son spectateur. Le film dans son ensemble est cruellement réaliste, même si on pourra débattre sur son dernier tiers, et tout se déroule de façon logique, sans pitié pour ses personnages. La pause dans la petite ville et le combat contre le Tigre restent les meilleurs exemples, sans rien en dévoiler.

Parlons de ça puisque c’est quand même le sujet du film : tout ce qui a trait au tank est une incroyable réussite à tous les niveaux. La tension des affrontements est parfois assez insoutenable grâce à une mise en scène très lisible sur les manœuvres et les actions de l’équipage, ainsi qu’une musique oppressante. Le fait que le film se déroule en Allemagne et que par conséquent les embuscades sont monnaie courante n’y est pas innocent. De plus, les tanks allemands comme le Tigre étaient très nettement supérieurs à la plupart des tanks américains, ce qui demandait une stratégie sans faille à ces derniers pour espérer s’en sortir.

Je dois quand même dire que j’ai un profond respect pour le réalisateur d’avoir réussi à monter un projet pareil. C’était en partie le cas pour Sabotage avec sa violence et son esprit old school qui aurait pu fonctionner du tonnerre, mais dont le scénario était un beau ratage (on mettra ça sur le compte de Skip Woods vu sa carrière). Proposer donc un film aussi dur pour le spectateur, qui a tendance à laisser un peu sur le carreau une fois le générique arrivé, ça n’a rien de vendeur et je ne serais pas étonné si le film ne cartonne pas. On retrouve vraiment l’esprit de films des années 1970 en ça, encore une fois Peckinpah vient à l’esprit, qui n’avaient que faire du politiquement correct. Ca n’est pas destiné à tout le monde, mais il est essentiel que de tels films existent encore sans être marginalisés.

En 2013, Ridley Scott nous avait offert avec Cartel le même « genre » (si je puis dire) de film à gros casting accompagné d’une campagne de pub conséquente, et qui avait sévèrement perturbé le public. On notera également que c’est encore un beau choix de rôle pour Brad Pitt qui évite la facilité et continue à incarner des personnages ambigus (bon pas 12 Years a Slave), c’est tout à son honneur. En bref, si vous voulez voir un bon film de guerre et que vous savez à quoi vous attendre, foncez, c’est clairement à voir au cinéma.
blazcowicz
8
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le 23 oct. 2014

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blazcowicz

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