Brève histoire d'amour correspond à la version ciné de l'épisode 6 de la fameuse série Le Décalogue que Kieslowski tourna pour la télévision polonaise et qui lui valut une renommée internationale. Devant le succès de son entreprise, il adapta deux épisodes pour en faire des films, Tu ne tueras point et donc Brève histoire d'amour tiré du précepte Tu ne seras pas luxurieux. De là, il est quand même difficile de juger de la véritable valeur de cette adaptation cinématographique car il s'agit d'une version très similaire à la version TV, les seules différences sont à recherché du côté de la durée bien sûr et de quelques détails comme la fin qui est ici beaucoup plus optimiste, une sorte d'happy-end en quelque sorte. Pas évident de juger ainsi ce format car la version TV prenait également sa force de la vision d'ensemble de la série, ici cette histoire prise isolément du reste, perd quand même en intérêt. Moins fort que la série mais néanmoins d'une qualité identique, Brève histoire d'amour paraît être le meilleur moyen, pour celui qui ne la connaît pas, d'appréhender l'œuvre du cinéaste.


Si le titre du précepte de référence est Tu ne seras pas luxurieux, on ne peut pas dire que la luxure soit le thème principal de ce métrage et si vous vous attendez à quelque chose d'un peu épicé, vous risquez d'être fortement déçu! Non, ici on parle essentiellement du voyeurisme, préambule au désir et donc à l'amour pour Kieslowski, et plus généralement de l'influence du regard de l'autre dans une relation amoureuse. Le cinéaste veut nous montrer que c'est justement le regard amoureux porté sur une personne qui la rend amoureuse! Pour ce faire, il base son histoire sur deux personnes qui ont une personnalité et un rapport à l'amour diamétralement opposé, et il va nous montrer comment celles-ci vont chercher à passer outre leurs appréhensions ou leurs préjugés pour pouvoir aller vers l'autre. Est-ce que leur histoire fonctionnera ou pas, cela n'intéresse pas Kieslowski, son film n'étant pas montré comme une romance classique.


Brève histoire d'amour ressemble à une sorte de grand huis clos mettant en scène finalement deux personnes, les autres personnages ne faisant que de fugaces apparitions, représenté d'une manière assez froide sans sentimentalisme ou mièvrerie, dans lequel le spectateur fait office de témoin privilégié de leur intimité.
On a tout d'abord Tomek qui est un jeune homme timide et frustré, pour lui l'amour est un sentiment idéalisé et le passage à l'acte charnel semble le terrifier. Il va vite être fasciné par sa voisine, Magda, qu'il va épier chaque soir avec sa longue vue. Contrairement au jeune homme, Magda est une hédoniste qui ne s'embarrasse pas d'un quelconque romantisme et multiplie les rapports sexuels.


On voit ensuite comment ces deux êtres vont évoluer par le simple fait du voyeurisme, du pouvoir du regard. Tomek, au début, jouit pleinement de sa position de voyeur, il s'amuse même à quelques jeux pervers en envoyant à sa voisine de faux avis de mandat ou en faisant des appels anonymes. Il se contente d'observer ses réactions et cela lui suffit. Mais au fil du temps, le garçon semble s'être véritablement amouraché et cette relation platonique commence à lui peser, il lui faut agir, d'autant plus que la dame fréquente un autre homme...
Magda, l'objet du désir, va être également changée par ce regard porté sur elle. Au début, elle s'amuse et se moque des sentiments de Tomek et lui fait comprendre, qu'au fond, se moucher la chandelle ce n'est pas si mal, alors pourquoi s'embarrasser du reste. Et puis, elle va finir par être interpellée puis touchée par l'attitude du jeune homme, allant jusqu'à combattre ses prérequis.


Beau film donc de Kieslowski sur la complexité du sentiment amoureux doublée d'une réflexion sur l'émergence du désir, on regrettera néanmoins que la version ciné n'apporte rien de plus que la version TV, si ce n'est des minutes en plus et des longueurs inévitables. Un film malgré tout à découvrir avant, peut-être, d'aller pousser la porte du Décalogue.

Procol-Harum
7
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le 9 oct. 2021

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Procol Harum

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