"Nous ne voyons des étoiles rien que leurs vieilles photographies"

En visionnant Sunset Boulevard, on est d'abord conquis par la maîtrise du scénario.
Wilder ne réalise pas ici son premier film noir, et il n'est pas étranger aux intrigues alambiquées, ni à ces entrées en matière déroutantes, qui nous laissent serrer nos fauteuils en attendant le fin de mot de l'histoire. Cette introduction ouvrant Sunset Boulevard, justement, est hallucinante à plus d'un titre : d'une part pour l'incroyable fluidité de cette séquence, qui débute par un générique intra-diégiétique et laisse ensuite apercevoir le mouvement des forces de l'ordre se ruant au domicile de Mme Desmond, pour enfin se focaliser sur un cadavre noyé dans une piscine.
Ceci, doublé évidemment par la voix d'un narrateur que l'on découvre être en vérité le protagoniste de l'intrigue... Et le cadavre montré à l'écran !
Ces débuts de film "testamentaire", pour ainsi dire, sont une signature du film noir : un personnage moribond s'apprêtant à nous conter les raisons de sa tourmente ; récit qui sera bien sûr nimbée d'une mélancolie terrible.
De cette pratique, on pourrait même le rapprocher d'un des autres chefs d'œuvres de Wilder : Assurance sur la mort, mais néanmoins, la comparaison s'arrêterait ici.
Wilder, non content de proposer une séquence d'introduction plus virtuose encore, choisit ensuite de dynamiter purement et simplement le quatrième mur avec une ironie jubilatoire en faisant s'exprimer le mort, relayé pourtant au pur statut d'objet ou de débris dans le cadre !


Pourtant, Sunset Boulevard n'est pas vraiment un film noir, en dépit de son cadre le plus souvent nocturne, de ses idylles tragiques et de ce protagoniste désinvolte, fumant et toujours vêtu d'une veste.


C'est un drame, mais aussi une réflexion majeure sur le cinéma et le pouvoir exercé par les images.


Les mises en abyme multiple qui le parsèment, allant du choix éloquent de l'actrice Gloria Swanson pour incarner le personnage de Norma Desmond, ou bien encore de situer en grande partie l'action du long-métrage aux studios Paramount (lesquels le produisent également !) sont particulièrement ingénieuses, apportant un relief supplémentaire au récit et à son propos sur la brouille entre réalité/fiction, vérité/mensonge, ou encore lumière véritable/lumière factice.
Cette obsession de la lumière parcours d'ailleurs tout le film : au travers d'un William Holden incarnant un scénariste rêvant d'aisance financière et de succès, mais surtout d'une Gloria Swanson dans un rôle confondant sa propre personne, à la recherche d'une gloire perdue que son majordome cultive afin qu'elle ne perde pas la raison face à une réalité devenue méconnaissable : étrangère et impitoyable.


La conclusion se révèle extraordinaire : non pas tant car elle donne la réplique directe à cette géniale scène d'introduction, mais car elle expose toute l'ironie et le cynisme produit par l'industrie cinématographique.


Obsédée par son image, enfermée dans ses propres névroses par son plus fidèle compagnon, Norma Desmond se révèle en actrice devant la presse alors qu'elle est devenue une meurtrière. L'image prévaut sur la morale, sur l'éthique. Si son plus grand rôle était d'être une assassine, alors elle l'embrassera complètement : trop heureuse d'obtenir l'éternité que lui accordent ces caméras et leurs spectateurs.


En vérité, cette vision de la grande pièce de vie de Norma Desmond où s'amoncellent sur les meubles des dizaines de portraits d'elles rendues caducs par le passage du temps, évoque une célèbre phrase prononcée par le Docteur Manhattan dans le roman-graphique Watchmen d'Alan Moore. Alors que ce dernier, dépité de sa propre condition de surhomme, tient dans ses mains une photographie de ses jeunes années, lesquelles ne pourront pour lui jamais plus être vécue, il déclare en regardant vers les étoiles, faisant une analogie avec ces dernières :



Le temps que la lumière nous parvienne, elles ne sont déjà plus. Tout ce que nous voyons des étoiles... ne sont que leurs vieilles photographies.


LounisBrl
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le 8 janv. 2022

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