On le dit chaque année, mais avec Steven Spielberg, Woody Allen est l’un des réalisateurs le plus prolifiques de l’histoire du cinéma avec une carrière tout simplement phénoménale au regard du nombre de films VS son âge (77 ans). Les sommets de sa carrière ont été nombreux même s’il faudra admettre que le simple nom du réalisateur apposé sur une affiche suffit à jeter un trouble sur l’objectivité dont il faudrait faire preuve à chaque nouvelle oeuvre. On ne prendra guère de risque en précisant que Match Point était son dernier chef d’œuvre, et que depuis, ses longs-métrages passaient du très bon au relativement moyen (To Rome With Love ayant d’ailleurs laissé plusieurs fans sur leurs faim). Avec Blue Jasmine, il revient à son meilleur niveau et offre un drame intimiste verbal comme il sait si bien le faire, un long-métrage qui s’élève plus haut que prévu grâce à la performance magistrale d’une Cate Blanchett qui décroche immédiatement son ticket pour être parmi les favorites à l’Oscar de la meilleure actrice l’année prochaine.

Un grand nombre de femmes au cinéma (Diane Keaton, Mia Farrow, Scarlett Johansson notamment) peuvent remercier Allen de les avoir amené au sommet, d’avoir su tirer des nuances de jeu, de grandes performances mais surtout d’en fait des icônes aux rôles intemporels. L’actrice australienne Cate Blanchett vient désormais d’ajouter son nom à cette liste puisqu’elle irradie l’écran de la première à la dernière scène dans un rôle de bourgeoise fauchée absolument phénoménal. Après avoir vécu dans l’opulence la plus totale parce qu’elle a su à un moment trouver le bon parti, Jasmine est aujourd’hui dépossédée de tous ses biens, laissée à l’abandon et oubliée par le fils de son ex-mari. Le retour à la réalité est rude et le contraste saisissant lorsqu’elle devra laisser ses valises Vuitton dans le modeste appartement de sa sœur, Ginger, un personnage en tous points opposé.

Car Jasmine ne va pas bien, pas bien du tout. En pleine dépression aigue dont elle semble avoir conscience, on la surprend à parler seule, à revivre des conversations de son passé, comme pour tenter de retrouver et figer une réalité révolue. Un constat d’une noirceur grandissante pour un être ayant bâti sa vie sur une coquille artificielle tout en se forçant à croire de son importance dans les hauts milieux. Woody Allen dépeint Jasmine en permanence par l’opposition à sa sœur alors qu’elles sont toutes les deux à la recherche d’un homme dans leur vie pour aller de l’avant. Tandis que l’une semble collectionner les hommes violents voire beaufs, l’autre continue d’évoluer dans les sphères dorées avec la seule robe de couturier restante. Si le décor change, les deux évoquent une tristesse latente, l’impossibilité de vivre leur vie par elle-même.

Tout au long de Blue Jasmine, Allen refuse l’évolution vers le happy end. La vie est une garce, chacun le sait, et les « gentils » ne gagnent pas à chaque fois. Il suffit de regarder sa filmographie pour s’en convaincre. Il ne sera dès lors pas très étonnant de voir un bonheur gâché en quelques secondes ou une idylle tourner en simple « coup d’un soir ». Des instants douloureux de part et d’autre de l’écran qu’Allen transcende lors de scènes à la tension frissonnante, à l’image de la rencontre imprévue entre Jasmine, son nouvel homme et l’ancien mari de Ginger. Glaçant. Grâce à l’utilisation régulière de flashs-back pour projeter les spectateurs dans le passé de Jasmine et matérialiser ses blocages psychologiques, Allen joue une partition parfaitement huilée pour distiller au compte-goutte les informations qui permettront d’en savoir plus sur la vie de cette femme sans pour autant complexifier son récit ou tenter des effets de style malvenus.

Là où d’autres réalisateurs auraient pu rendre la mécanique indigeste, il réussit avec une facilité déconcertante, proposant par la même un rythme toujours maintenu, oscillant en permanence entre un humour faussement innocent et l’installation d’une sensation de drame tétanisant. Car si Woody Allen convoque bien des fois le rire, la réplique cinglante ou le gag de circonstance, ce n’est que pour mieux masquer une réalité de plus en plus persistante, la perte totale de réalité de Jasmine et sa descente aux enfers dans une vision de la réalité totalement fantasmée. Si Blue Jasmine ne connait pas contrairement à Match Point par exemple de véritable fulgurance de mise en scène (le film reste filmé de manière très posée), il dispose malgré tout d’instants à la force visuelle impressionnante et à l’impact immédiat sur le spectateur. Le plan final sera à ce titre le clou du spectacle, d’une noirceur et d’une tristesse abyssale, sublimé par le génie d’une Cate Blanchett jamais aussi bien dirigée. Si on ne peut pas parler de son meilleur film, nul doute que Blue Jasmine se hisse sans peine dans les titres les plus forts d’une filmographie déjà très dense pour le réalisateur. En tout état de cause, il semble également être l’apothéose d’une actrice dont l’on savait depuis bien longtemps qu’elle était capable de miracles…
mcrucq
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le 5 sept. 2013

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Mathieu  CRUCQ

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