Blow Out
7.6
Blow Out

Film de Brian De Palma (1981)

Alors qu’il enregistre des bruits nocturnes, un preneur de son est témoin de la mort dans un accident de voiture d’un politicien promis à la présidence du pays. En réécoutant son enregistrement, deux bruits l’intriguent: le premier ressemble étrangement à un coup de feu et le second à l'éclatement d'un pneu…


Blow Out s’inscrit dans une lignée d’œuvres empruntes du climat de soupçon et de paranoïa qu’a engendré l’assassinat de JFK. Ce traumatisme a profondément marqué le cinéma américain et peut être considéré comme la matrice de nombreux films dont l’intrigue s’appuie sur l’idée d’une conspiration aux ramifications insaisissables. L’œuvre de Brian de Palma se rattache également à une réflexion cinématographique plus vaste sur la perception du réel et de sa représentation.


Cette thématique fut d’abord initiée par Antonioni avec Blow Up (1966), qui interroge à travers les images notre rapport à la vérité. On y suit un photographe londonien qui, développant des clichés pris dans un parc, semble apercevoir un meurtre se dérouler en arrière-plan. À mesure qu’il dissèque ces images à coup de zooms et d’agrandissements, il réalise qu’il est prisonnier de sa subjectivité et finit par accepter qu’une partie du réel lui échappe. Quelques années plus tard, Coppola propose une variation de ce questionnement avec Conversation secrète (1974). Le film utilise le pouvoir du son pour remettre constamment en question le point de vue du spectateur et enfermer son protagoniste dans une spirale paranoïaque. Alors qu’il espionne un jeune couple, il se persuade que son employeur prépare leur assassinat. Aveuglé par son interprétation initiale de la conversation, il se noie dans la crainte d’une machination et perd peu à peu le sens de la réalité.


Avec Blow Out (1981), De Palma élabore une synthèse de ces motifs où la progression du récit passera par la réunion du son et de l’image. Comme dans les films de Coppola et Antonioni, il est question de décrypter un événement que le regard n’a pas su capter. Mais la recherche de la vérité passe ici par des procédés éminemment cinématographiques : la synchronisation et le montage. Le personnage qu’incarne Travolta obtient des clichés de l’accident auprès d’un photographe véreux qui en fut témoin. Lors d’une scène fascinante, il s’efforce de les faire correspondre avec ses enregistrements sonores en utilisant comme repère l’éclatement (blow out) du pneu. Ce dispositif s’avère passionnant puisque l’acte de création cinématographique devient le moteur du récit et témoigne de la capacité du 7ème art à rendre compte de l’indicible. La scène qui ouvre le film, convoquant à la fois le plan séquence inaugural d’Halloween (1978) et le meurtre de Psychose (1960), rappelle néanmoins toute la facticité du cinéma : art de l’illusion qui se joue de la malléabilité des images. Et c’est justement la crainte de leur potentielle manipulation qui hante l’Amérique de cette époque.


L’intérêt de De Palma pour ce pouvoir de manipulation lui vient de sa passion pour Alfred Hitchcock, qu’il ne cesse de citer de film en film. L’univers du Maître du suspense est notamment évoqué dans Body Double (1984) qui associe Fenêtre sur cour et Sueurs Froides, ou encore dans Pulsions (1980) qui lorgne du côté de Psychose. Au premier abord, Blow Out ne semble pas particulièrement marqué par l’héritage hitchcockien. On y retrouve pourtant des éléments propres à celui-ci : un personnage aux prises avec une machination qui le dépasse, l’incapacité à sauver la femme aimée, le thème du double ou plus largement le désir de toucher le subconscient du spectateur par le biais d’une narration purement visuelle. De Palma reste ainsi fidèle à lui-même tout en proposant un film qui dépasse les codes, à la fois thriller politique et réflexion sur le médium. Mais bien qu’il s’amuse de la puissance des artifices cinématographiques, Blow Out n’en demeure pas moins une œuvre teintée d’une ironie funèbre où la cruauté du réel l’emporte sur la candeur de la fiction.

AlexNero
9
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le 26 nov. 2021

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