Ou l'histoire d'une oie blanche...

Sept années séparent mon visionnage et la sortie de ce film. Sept paisibles années que j'ai mis à profit pour oublier l'écho lointain du battage médiatique qui entourait ce film classé (avant même sa sortie officielle) au rang des chefs-d'oeuvre par les milieux autorisés.


Donc pendant sept ans j'ai pu revoir mes classiques et me divertir, sans remords, devant des kilomètres de films sans prétention. Sept années pour me rendre compte comment, en un peu plus d'un siècle d'existence, le cinéma partageait avec son spectateur la saine complicité autour de cette information : ON VA TOUS MOURIR... mais en attendant on va tout faire pour kiffer la vie !


Et alors qu'enfin à mes oreilles ne battaient plus les passages média du couple Millepied/Portman, les nominations et les prix récoltés, les milliers de teasers, d'extraits, d'avis et d'analyses qui pullulaient à la télévision (aveu : je possède chez moi cet instrument du diable, ce divertissement du prolo-populo qu'aujourd'hui tout Bobo conchie avec vigueur... que voulez-vous lecteurs érudits et cinéphiles avertis, mes ascendances prolétaires excusent certainement chez moi ce manque vulgaire de raffinement ), sur les ondes radio, sur les réseaux sociaux, sur les blogs et sites spécialisés de la toile... Oui, il m'aura fallu 7 années à laisser faisander la bête pour qu'enfin son odeur de blockbuster se dissipe totalement à mes narines et qu'il ne reste plus qu'un long métrage comme un autre. Un film parmi les films. 7 années pour me payer une vraie et honnête tranche d'impartialité. Et qu'enfin, ce soir, je visionne ce BLACK SWAN.


Au final, ce film, que précède un peu partout son statut de "chef d'oeuvre", n'est absolument pas victime de ce dernier. Non. Il réussit tout seul à ne pas être à la hauteur des promesses qu'il fait à son spectateur. Pourquoi ? Certainement parce qu'il ne suffit pas de plaquer la 5e de Beethoven, une symphonie de Mozart, une nocturne de Chopin ou ici le lyrisme romantique d'un Tchaïkovski sur les images d'un film pour atteindre (ou seulement approcher) la puissance de ces maîtres de la narration musicale. Pire encore la perfection des ces pièces ne fait qu'accentuer de manière indiscutable l'imperfection de l'oeuvre qui voudrait les parasiter.


Voilà donc encore une oeuvre qui finit écrasé par celle (plus prestigieuse) qui lui sert de levier. Breaking news : les grandes oeuvres musicales ne se laissent donc pas prostituer si facilement. Et que ce soit Aronofsky, Portman, Cassel ou Kunis, il semble bien que le seul et véritable intérêt de ce film se limite au lointain souvenir (car tronqué, bidouillé et réecrit par un sagouin) d'un Tchaïkovski indomptable qui éclipse d'entrée les images à l'écran.


La déception est d'autant plus grande que, dès le départ, la promesse d'un propos ambitieux centré sur "l'art, le sacrifice et la perfection" semble poser un contrat alléchant au spectateur. Mais le propos prend vite la saveur d'un épisode de l'émission "Confessions intimes". Voici au choix quelques rubriques que ce film aurait pu légitimement remplir pour cette télé-réalité : "J'ai presque 30 ans et je vis encore chez maman", "J'ai flirté avec mon boss pour réussir", "J'aime les peluches et je me paluche", "J'aime les miroirs mais ils ne me le rendent pas", "Je me scarifie et j'aime ça"...


Long et ennuyeux, l'oeuvre manque de folie. Pourquoi ne pas avoir fait un vrai travail de stylisation sur les tous les décors et tous les accessoires du film (comme c'est le cas dans l'appartement maternel de notre pauvre petit Cygne) pour donner à l'ensemble une dimension de conte sombre ?Le tout manque aussi de subtilité. Pourquoi nous immerger brutalement dès le début et sans aucune progression dans la fêlure de notre petit Cygne auto-mutilée et dédoublée de façon caricaturale ?


Malheureusement, aucun aspérité ne surgira pour nous accrocher au Cygne dans sa noyade. Car si l'on veut s'approprier la folie d'un personnage, cette folie doit idéalement naître sous nos yeux et non être déjà l'incarnation du personnage. Nina la pauvre enfant qui veut être parfaite nous indiffère. Car connaissant déjà la réponse à ce besoin de perfection idéalisée, on attend avec un agacement croissant qu'elle fonce dans le mur et que sa quête immature et d'emblée impossible meurt avec elle.


Parce qu'elle nous fait bien chier cette pimbêche avec sa tête de petite fille trentenaire improbable qui découvre au bout de 25 ans de danse que "la sensualité et le lâcher prise" sont primordiaux. Ils sont méchants les professeurs de pas lui avoir dit tout ça pendant les 25 années de danse qui l'on mené au New York Ballet Theatre !


Black Swan est une promesse manquée. Il reste au final l'histoire sans intérêt d'une petite fille timidement arriviste, manquant d'âme et de caractère qui se prend les pieds dans le tapis et qui met très, très, très longtemps à tomber par terre. Une chute molle, longue et laborieuse qui donnerait presque envie de lâcher l'interjection Oh combien classieuse : "Alors mec... qu'est ce que tu me dis là dis-donc ?"


Parce que clairement si un film n'a pas vocation à distraire son spectateur, il doit à défaut le faire réfléchir ou élargir l'horizon de ses réflexions humaines. Ici on ne rit clairement pas, mais alors, à quoi a-t-on bien pu réfléchir pendant presque 2h ? Vous, je ne sais pas, mais pour moi aucun horizon ne s'est élargi devant mes yeux (attendez, je regarde derrière... on sait jamais !).


Bref, en regardant ce Black Swan ce soir je pensais voir un cygne noir (dans un lac torturé, entouré de princes ténébreux et de rivales sombres), quelle n'a pas été ma surprise de me retrouver face à une oie blanche maladive et assez indigeste (dans un lac artificiel, entourée de princes consorts et de rivales pseudo trash-bimbos). Cependant, pour être totalement impartiale il est a signaler le travail remarquable (quoi que trop court) de l'actrice Barbara Hershey qui se démarque tout particulièrement parmi le casting dans son rôle de mère manipulatrice. On lui doit quelques minutes savoureuses et glaçantes dans le film. Dommage que Portman ou Kunis ne possèdent ni la dualité de son regard ni le coté terrien de son jeu.


Je l'aurais compris à mes dépends, le temps ne fait rien à l'affaire et l'unanimité ne fait pas loi. Il est dommage de constater que la surproduction cinématographique actuelle ait donné naissance à une pléthore d'auteurs, qui grisés par les outils de post production (trois D, capture motion, effets spéciaux et autres délicatesses numériques en tous genres) ont clairement la gourmandise des gosses devant un magasin de bonbons en libre service. L'usage maladroit et surabondon de ces technologies revient souvent à passer au second plan ce qui fait l'intérêt premier d'une oeuvre : la lisibilité de son propos et son homogénéité esthétique. Ce film finit par ressembler à un très long clip vidéo ou à une publicité pour marque de luxe.. Je suis sûre, qu'avec un découpage judicieux, Chanel, Dior ou Burburry devraient pouvoir trouver la dedans leurs prochaines campagnes publicitaires...


Mais si l'on peut reprocher ici à Aronofsky de céder à cette tentation, le pire est certainement d'avoir passer 2h de son temps devant un film qui compile tous les travers de son temps. C'est dommage pour le spectateur, pour les acteurs et dans l'ensemble, pour le cinéma contemporain qui semble vouloir faire toujours plus de bruit au service d'un propos de plus en plus creux et consensuel... ou presque !

Presque

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