On parle souvent de Birdman en confrontant ce qu'il dénonce à la façon dont il s'applique à lutter contre cela : Birdman serait donc un film qui s'opposerait au cinéma de divertissement abrutissant en se dressant en tant que film qui représenterait une recherche artistique grandiose au fort investissement technique, au service d'une histoire qui raconte la volonté d'un homme de revenir aux créations sincères et pourvues de sens (Birdman fait partie de ces films poussifs et simplistes dont le propos est résumé en une ligne dans son attaché de presse et dont on sait d'avance que tout le film sera à voir uniquement en tant qu'illustration de cette ligne). Cette attaque du cinéma de divertissement actuel a bien entendu déclenché plusieurs critiques de baltringues qui qualifièrent Birdman de "prétentieux" (terme fourre-tout à sortir pour balayer toute réflexion, comme si cela s'imposait naturellement en tant qu'idée qui se suffit à elle-même) en rétorquant le traditionnel "c'est bon on a le droit de se débrancher le cerveau deux minutes", ce qui est très triste, le cinéma de divertissement actuel étant pourtant médiocre en terme de divertissement, sans compter qu'il est aussi essentiel de demander de l'intelligence d'écriture (de personnages, d'enjeux) et de mise en scène (efficacité) même dans des blockbusters d'action pure. Au passage j'en profite pour dire que les nanars ça pue la merde et c'est fait pour les enculés qui veulent faire leur youtubeur à crier devant leur écran parce que c'est devenu leur idée du cool et marrant.
Pour ma part je pense que même si le propos est valide, le film n'arrive pas à se hisser à une hauteur qui légitimerait sa position de donneur de leçon, mais ce n'est pas pour autant qu'il est prétentieux : il vise juste et apporte déjà plus que ce qu'il critique en terme de plaisir de visionnage.


Qu'est-ce qui ne va donc vraiment pas dans ce film ?
C'est simple : devant, c'est cool. Au delà du concept ostentatoire de film en plan séquence, gadget promo sans intérêt qui insiste de façon lourdingue sur l'idée de grand art sans concessions (Inarritu ayant dressé toute sa filmographie comme un immense pamphlet contre la finesse), formellement c'est très bon. Le cadrage, la photographie, le montage sont au taquet pour offrir l'expérience la plus prenante, la plus sensorielle possible. Et c'est d'ailleurs pendant la scène qui est pour moi le sommet de cette alchimie, à savoir celle où il va chercher son alcool chez l'indien à la boutique pleine de grigris lumineux, sous fond de musique magnifique et de monologue de Macbeth déclamé avec furie par un mec dans la rue, que le vrai problème du film m'est apparu clairement.
Ce n'est pas le fait que le film ne raconte rien d'intéressant, que les personnages ne soient pas attachants, qu'ils soient limités et que le peu qui se trouve entre leurs limites soit mal écrit, que la quête de Julien Lepers ne soit jamais palpable dans toute sa dimension personnelle, intime, malgré tous les efforts pour montrer à quel point il se prend la tête. Ni que toute la réflexion sur le jeu d'acteur et la réalité humaine derrière la formation physique de la fiction (qui légitime dans une moindre mesure l'absence de coupe pour montrer la transition dans le tissu de l'instant entre la personne et le personnage) ne dépasse jamais le stade de la réflexion offerte sur un plateau. Non, le vrai problème c'est que le film est juste le penchant "film d'auteur" du cinéma sensationnaliste et tapageur qu'il condamne.


Ça met des lumières monochromes partout, ça fait bouger la caméra dans tous les sens en permanence, ça fait crier ses acteurs (belles performances et beaux moments de confrontation ceci dit), ça habille le dynamisme de ses scènes avec de la musique jazz divine qui titille des réactions naturelles pour rendre l'expérience encore plus prenante, et tout ça pour quoi ?
Pour offrir une séance de cinéma qui enthousiasme et qui fait tourner la tête.
C'est cool, mais alors, c'est ça le grand cinéma ? Il y a quoi à en tirer ?
Sans doute pas les problèmes persos des acteurs et leurs égos, même si c'était bien écrit (ce qui n'est pas le cas ici), il n'y aurait rien d'enrichissant à cela. Pas non plus dans la mise en scène sensorielle étant donné que son intérêt ne réside que dans le fait de la voir en direct. Ni dans les réflexions apportées sur un plateau évoquées plus haut, qui contrairement à ce que voudraient faire croire certaines critiques qui prennent à contrepieds la critique du "Birdman parle mal du cinéma spectaculaire mais il fait pareil" pour te dire "oui mais en fait même ça c'est volontaire parce que >insérer une idée à la con qui paraît censée parce qu'elle est bien rédigée et que ça fait illusion mais qu'en fait ça n'avance à rien<" juste parce qu'ils assument pas d'avoir été dupés et qu'ils cherchent une parade ou qu'ils sont juste trop cons (ce qui expliquent que leurs films préférés de l'année sont les autres duperies genre Love ou Whiplash, qu'ils essayent aussi de surintellectualiser pour adapter les critiques positives lambdas en critiques positives conscientes des critiques négatives qu'ils souhaitent retourner contre elles-mêmes en usant d'arguments fallacieux qui promeuvent des idées vides) et je vais pas finir ma phrase étant donné que son fil est totalement éclaté et que je sais même plus comment la relier à son début mais de toute façon vous avez compris l'idée j'espère.
Étant donné que tout le film est basé sur ça, il ne reste donc rien.


Birdman n'inspire pas, Birdman n'élève pas, Birdman propose une expérience qui cherche uniquement à déclencher des ressentis de surface en usant des mêmes artifices frénétiques que le cinéma Bayesque qu'il critique. Sauf que Birdman, lui, se cache derrière une position d’œuvre artistique réfléchie, exigeante, aboutie, position qui n'est qu'une illusion, l’œuvre ne touchant rien, ne contribuant à rien, perpétuant juste ce concept de falsification de l'idée d'intelligence, de profondeur, de tout ce qui peut réellement changer un homme pour le faire tendre à être quelque chose de meilleur. Le seul impact que pourrait avoir le film serait d'inspirer (en s'ajoutant au lot de nombreux films illusionnistes qui font le bonheur de la culture senscritique) de futurs réalisateurs à faire ce qu'ils pensent être du grand art en délaissant le fond au profit d'une forme qu'ils pensent emprunte de message, ce qui ne ferait que perpétuer le culte du vain. On peut tout de même lui concéder avec espoir le fait qu'il pourra servir de porte ouverte à des jeunes qui chercheront ensuite à aller voir plus loin dans le cinéma, jusqu'à avancer et à affiner leur compréhension des choses au point de réaliser que Birdman, c'était pour les gamins au final.


Il n'empêche que le conformisme actuel d'avis qui se contentent d'aller dans le sens d'idées critiques toutes préparées dans des attachés de presse ne fait que d'ériger de faux standards de qualité rabaissant ce qui est censé nous élever, nous laissant à terre, mourir idiots.


En même temps, il n'y avait rien à espérer du nouveau film d'un réalisateur qui a bâti sa réputation sur du misérabilisme condescendant et du pathos vulgaire.


Mes deux conseils de films à voir pour les mettre en opposition avec ce que je viens de critiquer : Cemetery of Spendour et Les Chiens Errants, recherche de la pureté la plus absolue via le dépouillement poussé à l'extrême.

PrincesseSaphir
4
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le 22 nov. 2015

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