4 ans après Biutiful qui marquait les premiers pas d'Alejandro González Iñárritu en tant que scénariste, le revoilà pour son cinquième film qui marque l'affirmation de ses obsessions. Pour ses trois premiers films, ils n'étaient pas scénarisés par lui mais néanmoins les thèmes exposés à l'époque son ceux que Iñárritu s'est réapproprié aujourd'hui ce qui fait qu'il se compose une filmographie cohérente pour former une oeuvre globale. Auréolé de quatre Oscars cette année, le film a fait sensation et depuis l'annonce du projet il ne cesse de faire parler de lui dans la sphère cinéphile pour savoir si il serait juste un exercice de style pour faire de l'esbroufe ou alors un véritable film d'auteur aux thématiques fortes et travaillées. En tout cas une chose est sûr, il est le grand film que j'espérais.

Ici Iñárritu signe donc son deuxième scénario original avec l'aide des scénaristes qui l'avait aussi aidé pour Biutiful, si tout de fois vous voulez en savoir plus sur le cinéaste et si vous vous intéressez à sa filmographie, je vous invite à jeter un œil à la liste que je lui ai consacré car ici il ne sera question que de Birdman. Pour son nouveau film, Iñárritu change de registre, délaissant le drame humaniste pour se plonger dans la comédie noire, qui dit changement de style dit plus de risque pour un auteur qui doit réadapter ses thématiques pour quelles correspondent au nouveau registre. Cela nécessite à la fois un renouveau sans pour autant que le cinéaste se renie lui-même et pour le coup sur ce point le film est une véritable réussite. J'attendais beaucoup le film sur ce point pour savoir si Iñárritu allait confirmer ou au contraire se casser lamentablement la figure mais force est de constater qu'il s'impose comme un cinéaste brillant et virtuose. Le récit est une mise en abyme du monde de l'art, spécialement le théâtre ici, une critique virulente et juste du monde d'aujourd'hui ou tout y passe que ce soit l'artiste mégalo et élitiste, l'absence d'art dans le cinéma actuel avec un petit cri de rage contre les blockbusters, l’abrutissement du journalisme, les personnes en quête de sensationnalisme à travers le buzz et le scandale, la nouvelle génération qui estime que pour exister il faut être sur les réseaux sociaux ou encore la critique aigrie et constamment insatisfaite. Tout le monde en prend pour son grade ici et on retrouve cette vision négative et très noire du genre humain qu'affectionne tant le cinéaste qui comme à son habitude les illumines parfois de beaux éclairs lumineux. A partir de ça on retrouve les thèmes de l'auteur comme l'amour, jamais simple, toujours imparfait mais incroyablement beau car ici chaque personnage est mue par l'amour, l'amour de son job, l'amour de la gloire ou encore l'amour éprouvé les uns pour les autres comme cette relation très touchante entre le père et sa fille qui se construit sur les non-dits et on y retrouve le thème de la paternité déjà traité par le cinéaste dans son précédent film. L'amour est véritablement le moteur principal du cinéma de Iñárritu mais on y retrouve aussi les thèmes de l'héritage, cette peur d'être oublié par ses proches que l'on se sent obligé de léguer quelque chose, la décadence, à la fois physique et morale, le personnage perdant peu à peu pied au fur et à mesure qu'il vieillit et qu'il se sent disparaître, l'enfermement social et la fatalité, qui sont ici plus symbolisé par la mise en scène sauf pour la fatalité qui se construit sur la symbolique et l'aspect mystique du film, notamment la pièce que joue les personnages qui est un miroir sur leurs propres existences et tout ce qui touche à la tragédie grecque, le mythe d'Icare revenant souvent dans le film. Car sous ses airs de comédie noire le film cache en faite une tragédie, une tragédie sur la nature humaine et la fuite du temps qui dégrade tout ce qu'il touche, une jeune génération qui passe à côté de l'essentiel et une vieille génération à l'agonie, incomprise et rongée par les remords, la fatalité dans toute sa splendeur. Donc comme tout film de Iñárritu, celui-ci est incroyablement dense dans les thèmes qu'il abordent mais néanmoins ici cette densité est plus tenue que par le passé, n'handicapant pas le film ici, bien au contraire. Après tout l'aspect métaphysique du film peut en déstabiliser quelques uns mais ici aussi cela est très bien géré grâce à un aspect symbolique fort et universel, c'est d'ailleurs fascinant de voir comment Iñárritu arrive à faire des films complexes sans pour autant perdre son public grâce à l'universalité de son propos. Tout ici est fait de manière intelligente et habile, l'écriture des personnages est d'une finesse incroyable, leurs aspects stéréotypés étant voulu car ils ne sont pas la représentation d'eux-mêmes au sens premier du terme mais de ce qu'ils représentent au sens large, servant à merveille la mise en abyme du film, les dialogues sont savoureux, excellemment écrit et souvent très drôle tandis que le final est parfaitement réussi, à la fois touchant et beau qui fait une belle thèse sur la mort, ce n'est pas une fin mais un commencement, elle se montre libératrice et signe de gloire, chose déjà exploré dans les précédents films du cinéaste.
Pour ce qui est du casting il est parfaitement choisi, à la fois parce que les acteurs opèrent un tour de force impressionnant mais aussi parce qu'ils servent à merveille le propos du film. L'histoire est presque une biographique de Michael Keaton qui ici irradie l'écran de sa présence charismatique, il livre une performance hallucinante d'une justesse incroyable qui aurait dû selon moi lui valoir l'Oscar, surtout que jouer ce genre de partition en plan séquence ça doit être loin d'être évident. Le reste du casting est tout aussi incroyable notamment Edward Norton qui est tout simplement parfait volant presque la vedette à Keaton, Emma Stone, en plus d'être absolument craquante livre une prestation à fleur de peau qu'elle maîtrise de façon grandiose arrivant à changer d'émotions en une fraction de secondes au sein du même plan, passé de la colère à la honte en un battement de cils je dis chapeau. N'oublions pas aussi Naomi Watts toujours aussi ravissante, Zach Galifianakis et Andrea Riseborough qui sont plus discret au sein du film mais tous aussi talentueux offrant de très bonnes prestations.
Pour ce qui est de la réalisation, sur le plan technique on touche au génie, le film est monté comme un faux plan séquence dont les artifices sont incroyablement bien caché. Mais si on peut voir où ce sont opérées les coupes notamment lorsque l'on connait les astuces de plan séquences, on distingue les "checkpoints" des séquences ainsi que les changement de focal entre certaines scènes mais vraiment rien de dommageable tellement le tour de force est impressionnant, ils auraient pu difficilement faire mieux. Pour la photographie celle-ci est absolument sublime, l'Oscar n'est clairement pas volé avec aussi un bon travail sur le cadrage et la musique entièrement composée de solos de batterie. Pour la mise en scène d'Alejandro González Iñárritu, elle se montre brillante, les plans séquences étant maîtrisé à la perfection. Chaque choix est pensés à la perfection, l'aspect plan séquence du film n'est pas anodin, il donne un aspect pièce de théâtre au film mais il permet de servir le propos du film notamment l'aspect enfermement social et fatalité. Pour l'enfermement les personnages ne peuvent échapper au cadre et à la caméra, ils sont sans cesse rappelés à leurs conditions à tel point que le théâtre devient un labyrinthe mental, les couloirs devenant de plus en plus étroit au fur et à mesure du film oppressant le personnage principal , au début ils peuvent circuler à deux l'un à coté de l'autre et tenir une conversation, à la fin il n'y a de la place que pour un. Cela traduit bien l'aspect fatalité du film aussi, un plan séquence devant être minutés à la secondes, c'est une préparation colossale et les acteurs doivent se battre avec le temps tout comme les personnages. Ils sont esclaves du temps qui passe qui les conduits à la décrépitude et à l'oublie, les mettant à l'épreuve. Et c'est la que l'aspect plan séquence prend tout son sens, les personnages sont comme les acteurs et vice-versa, la mise en abyme est ainsi complète que ce soit sur l'écriture, les acteurs et la mise en scène.

En conclusion Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance) est un véritable chef d'oeuvre qui ne fait pas dans l'esbroufe mais dans le film d'auteur inventif, ingénieux et brillant où chaque choix est réfléchis pour qu'il soit en accord parfait avec le propos du film. Rares sont les films avec un tel niveau d’exigence et de maîtrise qu'il en devient instantanément indispensable et précieux même assurément culte. Une oeuvre virtuose et intelligente qui rappelle que le cinéma est avant tous un art et non un produit commercial que la nécessité de profondeur est une chose importante, que parfois l'idée peut même dépasser le film comme la mort peut surpasser la vie. Il y a quelque chose de très mystique et d'universel dans le cinéma Alejandro González Iñárritu, qui prouve clairement qu'il est un auteur accompli, un cinéma sur la vie, l'art et l'amour, souvent imparfait, parfois dissonant mais toujours incroyablement beau.
Frédéric_Perrinot
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le 28 févr. 2015

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