On l’a vu venir de loin, et on l’attendait le couteau entre les dents. Un drôle de machin, ce film Barbie, clairement pensé pour redorer l’image de la poupée ringarde de Mattel, mais piloté par une cinéaste féministe, Greta Gerwig, sensation du cinéma américain indépendant. Un long-métrage au marketing agressif rose paillettes, façon gavage d’oie avant Noël, qui doit aussi sortir Warner de la panade après l’échec interstellaire de The Flash.

Et pourtant. Si Barbie est bien la page de réclame redoutée, c’est aussi une comédie féministe ludique et enlevée - une œuvre dialectique, à faire bégayer les esprits les plus binaires. Barbie vit sa meilleure vie à Barbie Land, république matriarcale rose bonbon, où les femmes occupent tous les postes, à commencer par ceux de présidente et de juges à la Cour suprême (hop, une balle tirée contre la révocation du droit à l’avortement). Les Ken, beaux gosses  à la plastique parfaite, errent au second plan, simples figurants dans la vie des Barbie.

Un jour, la Barbie interprétée par Margot Robbie, la plus stéréotypée de toutes (l’actrice australienne joue de son image de poupée platine atomique), commence à se sentir mal. Elle doit se rendre dans le Vrai Monde, source de ses turpitudes. Son Ken (Ryan Gosling) s’incruste. Les voilà à Los Angeles. Barbie est persuadée que les poupées ont imposé le « girl power » dans le monde des humains. Perdu.

Elle découvre, déçue, un monde gouverné par les mâles. Pour le plus grand plaisir de Ken : ce n’est pas si bête après tout, cette idée, là, le patriarcat. Voilà donc la blonde, délestée de toute naïveté, contrainte de revenir à Barbie Land avant que Ken n’y renverse l’ordre des choses et impose sa conversion phallocrate à toutes et à tous.

Les cols blancs de Mattel rêvent de relancer leurs ventes en dépoussiérant leur poupée culte. Greta Gerwig veut pirater ce logiciel pour délivrer du féminisme en intraveineuse, avec la subtilité d’un bulldozer. Margot Robbie partage ce but et l’accompagne, hissée au rang de productrice via sa société LuckyChap, qu’elle a créée précisément pour ne pas dépendre uniquement des financeurs mâles et des scénarios parfois misogynes qu’on lui proposait.

De cette tension jaillit toute la ludicité du film. L’aggiornamento sexiste de Ken est hilarant, et on rit gras des gars apprenant soudainement à être « de vrais mecs », tantôt salles de muscu tantôt ventres à bières, avec tout ce que cela implique de ridicule. La réalisatrice fait de la plus archétypale des productions industrielles un appel pétaradant à exploser les codes de la masculinité et de la féminité. Pas mal, au regard de la feuille de route initiale.

Ceci étant dit, il faut boire frais. Le film demeure une machine infernale à vendre du plastique. Si Greta Gerwig égratigne Mattel, présentée comme une multinationale avide de pognon (ce qu’elle est), c’est avec la bénédiction de l’intéressée.

L’entreprise a bien compris que l’autoflagellation sous son contrôle lui serait in fine profitable, comme un petit coup de polish « woke » pour gagner le cœur des consommateurs post-Me Too.

Barbie, à la fois sincère et cynique, encapsule au fond toute l’époque, et c’est ce qui en fait un fertile objet d’analyse, opération commerciale doublée d’un bonbon délicieusement conscient de son monde. Une contradiction sur pellicule, montée sur hauts talons.

Cyprien_Caddeo
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le 20 juil. 2023

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