Top Films 2023, une mêlée de cinéma

Annotation :

GOAT in a Shell. Comment de si grandes leçons de vie peuvent sortir d'un si petit coquillage en stop motion ? Grâce au génie de Dean Fleischer-Camp, qui signe peut-être le film le plus mignon du siècle, une bombe lacrymale qui prend sans crier gare. Un métrage d'une richesse thématique vertigineuse. All hail Marcel.

Annotation :

Sauf une fois au chalet. Palme d'or ultra méritée pour Anatomie d'une chute, récit ample et complexe, exploration en miroir du couple et de la cour de justice comme deux institutions retorses et ambivalentes, où la parole est instable et le point de vue un champ de bataille.

Festival de Cannes 2023 - Compétition - Palme d'or.

Annotation :

Colère scène. En 1h07 montre en main, loin des scories emphatiques d'Oppenheimer et consorts, Quentin Dupieux livre son second chef d'œuvre, après Réalité. Un film-guérilla tourné en 6 jours pendant le tournage d'un autre (Daaaali), qui n'a l'air de rien, presque une blague entre potes, et qui encapsule pourtant une réflexion hilarante sur l'art, sa fonction, sa portée, sur fond de lutte des classes. Une des meilleures comédies de ces dernières années, précisément parce qu'elle sait basculer sans crier gare dans le tragique ou le mélancolique, suivant les succulentes embardées de sa Rolls Royce à la gouaille impayable, Raphaël Quénard.

Annotation :

Quand vient la fin de l'été. Un de ces films où "il ne se passe rien" et pourtant il y a tout. Toute la grâce des petits moments de la vie, pour narrer les vacances qui se terminent et les derniers instants complices d'une relation père-fille amenée à se déliter. On songe fort à Somewhere de Coppola, et on est pas loin de penser qu'Aftersun a dépassé son modèle.

Festival de Deauville 2022 - Compétition officielle - Grand Prix.
Festival de Cannes 2022 - Semaine de la Critique - Prix du Jury.

Annotation :

Le livre d'images. Quand le monument Spielberg s'auto-analyse dans l'oeil de sa caméra, cela donne une magistrale leçon de cinéma, un grand film sur l'enchantement et le regard. Le septième art y apparait à la fois comme un manège aux illusions, un refuge et un révélateur de vérité crue (une famille chaotique, le poison de l'antisémitisme). Le cinéma selon Spielberg.

Annotation :

L'Empire des Coyotes. Martin Scorsese a rarement été aussi amer et c'est tant mieux. Le cinéaste refuse cette fois toute flamboyance à ses semi-mafieux, tous plus ou moins foireux et médiocres, gangrènes d'une presqu'Amérique où les Indiens sont les dominants putatifs. Un grand film sur la spoliation de ce peuple, tant économique que culturelle, à laquelle Scorsese a la conscience de participer : cinéaste blanc, lui-même ne folklorise-t-il pas cette histoire en lui redonnant droit ?

Festival de Cannes 2023 - Hors compétition.

Annotation :

L'amour en lutte déclasse. Monia Chokri s'est enfin débarrassée des quelques scories stylistiques héritées du cinéma de son ami Xavier Dolan pour tailler sa route, sexy et acide, frontalement cul, dans cette rom com savoureuse sur la difficulté d'aimer en dehors de son milieu social.

Festival de Cannes 2023 - Un certain regard.

Annotation :

M:I versus IA. Tom Cruise court. C'est le moteur furieux de chaque Mission Impossible, celui-ci n'échappe pas à la règle, avec un ennemi d'un genre nouveau : une intelligence artificielle qui est à son tour devenue "rogue". De là, ce septième opus s'affiche comme la profession de foi d'un des plus grands artisans-stars de Hollywood, celle de la physicalité et la matérialité des vrais cascades, face à l'envahissement du tout numérique. Cruise se jettera des Alpes plutôt que de laisser à l'ingénierie 2.0 la charge de nos imaginaires. Cette tension habite chaque plan, ce qui en fait un des plus passionnants épisodes de la saga.

Annotation :

Friendzone. C'est la France de la jeunesse qui s'emmerde, celle des bourgs agonisants et des campagnes où on zone. L'histoire d'une amitié toxique, d'une homosexualité non-dite, d'un personnage qui gesticule pour oublier qu'il est statique. Cela pourrait être une dardennerie un peu plombante, mais c'est une dramédie bouleversante sur les relations humaines, les trahisons, la sclérose sociale, dont Raphaël Quenard, plus grand que jamais, à la fois clown et hâbleur philosophe à la JCVD, habité d'une insondable tristesse, est le troublant moteur.

Annotation :

Spider Empire. Sony Animation s'impose comme le grand bouleverseur du genre, en livrant ce second opus encore plus techniquement dingue que le premier - les différents styles graphiques s'y mêlent dans une orgie de couleurs et de sens toujours au service de la narration, même si on regrettera un scénario un poil en redite de l'épisode un. Mais quel pied, sincèrement.

Annotation :

La cour des grands. C'est un grand, très grand film de procès, où un coupable idéal et idéaliste, trouble et ambigu, essaie de sauver les miettes d'innocence qui lui restent, contre l'ogre policier et judiciaire, et contre même son avocat (Arthur Harari, le meilleur d'entre nous)

Festival de Cannes 2023 - Quinzaine des cinéastes.

Annotation :

L'esclandre des Siciliens. Toujours en quête de révolution esthétique et réaliste, Letourneur passe par le docu-fiction et pirate le film de vacances pour n'en garder que les moments de grossière banalité : la location qui marche pas, les galères de transport, les moustiques dans la chambre, le resto pourri... L'envers savoureux et drôle, parce que réel, de toutes les cartes postales du cinéma.

Annotation :

Anatomie d'une chute. Délice gondryen, joyeux bazar de débrouillard démiurge, autoportrait hilarant du réalisateur en tyran immature et instable, qui casse ses jouets pour nourrir son art foutraque. Pierre Niney exaspérant et génial.

Festival de Cannes 2023 - Quinzaine des cinéastes.

Annotation :

Balles sanglantes à Baltimore. Excellente surprise que ce thriller. Dans une Amérique hantée par ses névroses politiques et sociales - mass shooting, terrorisme, montée de l'extrême droite et télé-poubelle - une jeune fliquette tente d'arrêter un tueur de masse. Si le film coche les cases attendus du genre, il fourmille d'implacables idées de mise en scène, tend son intrigue comme un collet et finit, à chaque fois, par saisir.

Annotation :

Faire pot-au-feu de tout bois. Joliment attendri par la drôle de sensualité culinaire de Dodin Bouffant, beau geste de sublimation de l'art de la table. Super heureux de voir Benoît "Magic-mel'' taper ses meilleurs gueuletons et s'imposer à l'écran comme l'héritier de Gégé Depardieu.

Festival de Cannes 2023 - Compétition - Prix de la mise en scène.

Annotation :

Baby Blues. Quelle puissance d'écriture, de jeu et de mise scène fallait-il déployer pour monter ce thriller psychologique à cuisson lente, avec au coeur du réacteur Hafsia Herzi, fascinante énigme à décoder ? Le Ravissement est un ravissement.

Festival de Cannes 2023 - Semaine de la critique.

Annotation :

Ça bastonne pas mal à Paris. Plus la saga avance, plus sa mythologie s'effrite au profit d'une quasi abstraction narrative : ce qui importe, c'est le mouvement du héros, la chorégraphie de ses combats, le choc, les corps, qui contiennent le sens du film. De ce point de vue là, John Wick 4 est un sacré morceau. Ce quatrième opus porte le savoir-faire de cascadeur de Stahelski à des sommets d'impact, notamment dans sa partie parisienne, à l'image de cette montée dantesque au Sacré-Coeur ou de ce battle royale improbable au pied de l'arc de Triomphe.

Annotation :

Out of Control. Fincher fait son autoportrait avec une autodérision qu'on lui a rarement connue, en se choisissant comme avatar l'androïde Michael Fassbender, tueur à gages obsessionnel du contrôle qui passera son temps à ne rien contrôler. Preuve de sa richesse thématique, le film dépeint aussi un anti-héros globalisé, parfaitement intégré dans le capitalisme - le meurtre, un service ubérisable comme un autre.

Annotation :

Waving Flag. Alam, c'est un teenage movie contrarié par la tragédie de l'histoire palestinienne, un film d'amour et de luttes, où un lycéen branleur se politise avant tout par envie de choper la fille canon de son lycée, avant de plonger dans le grand bain du combat contre l'occupation de son pays.

Annotation :

Anatolie d'une chute. Ceylan s'accroche à son personnage misanthrope et franchement connard pour narrer une crise existentielle en forme de récit-fleuve, où se mêlent triangle amoureux, amitié toxique, défaitisme politique et social... Le blues de la Turquie de l'arrière-pays.

Festival de Cannes 2023 - Compétition - Prix d'interprétation féminine.

Annotation :

Call Me By Your Game. Kore-Eda n'a pas son pareil pour filmer à hauteur de môme les tribulations de l'enfance. Cette fois, il réaffirme la puissance du point de vue infantile en emballant un récit à la Rashômon, où le regard adulte, forcément duppe, est peu à peu renversé par celui de ses héros harcelés à l'école car homosexuels.

Festival de Cannes 2023 - Compétition - Prix du scénario.

Annotation :

In Wimo Veritas. Wim Wenders fait le beau spectacle d'un homme spectateur de la vie des autres. Une œuvre touchante, radicale, souvent mutique, où la playlist rock fait office de dialogue intérieur.

Festival de Cannes 2023 - Compétition - Prix d'interprétation masculine.

Annotation :

Impasse mexicaine. Thriller à la violence sourde, Lost in the Night explore la quête de vengeance d'un garçon dont la mère a disparu et qui se fait embaucher chez les riches dégénérés qu'il soupçonne d'être les commanditaires de son enlèvement. Il y a presque quelque chose de spectral ou d'éthéré dans la façon dont la caméra se meut, pour brosser un tableau d'une cruelle noirceur sur une jeunesse mexicaine condamnée à perpétuer la violence ou à mourir jeune.

Festival de Cannes 2023 - Cannes Première.

Annotation :

Le rêve haut. Le cinéma de Pietro Marcello paraît presque anachronique et, sans tomber dans de la posture de conservateur aigri, c'est ce qui fait sa pertinence. A l'heure de la grande lessiveuse numérique, l'Italien redonne leur centralité aux images, aux corps de ses héros prolétaires - les mains noueuses, la terre, la boue... Une fresque à la troublante beauté classique.

Festival de Cannes 2022 - Quinzaine des réalisateurs.

Annotation :

Eyes Wide Shut. Trente ans après son dernier film, le réalisateur le moins prolifique du monde revient avec une grande oeuvre sur l'inconsistance de la mémoire, et le cinéma comme pansement aux angoisses existentielles. C'est évidemment un grand oui.

Festival de Cannes 2023 - Cannes Première.

Annotation :

Rogue Blockbuster. C'est l'exception, cela devrait être la norme. Gareth Edwards prend le pari à l'heure du numérique marvelisé de tourner en grande partie en extérieur, pour donner chair à sa belle odyssée SF. L'impression d'avoir un vrai monde qui se déploie, avec cette belle idée de traiter l'intelligence artificielle comme une altérité plutôt qu'une menace, le film faisant écho aux pires heures des USA, du Vietnam à l'Irak.

Annotation :

Avant Godzilla. Le motif de la catastrophe hante le cinéma japonais depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et il avait fallu un lézard géant pour exorciser la bombe. Dans Suzume, Shinkai met en scène, avec la maestria colorée qu'on lui connait désormais (nos yeux ne sont pas tout à fait secs de Your Name) un duo d'ados qui doit fermer des portes pour éviter que les forces courroucées de la nature ne s'en échappent. Une course perdue contre l'imminence de l'effondrement, une course de sens surtout face à la finitude de la vie, hantée par le spectre de Fukushima. Bien joué Makoto, c'est encore la grosse chialade.

Annotation :

Requiem pour un pardon. Volkogonov est un rouge qui tâche, petit flingueur stalinien au service du totalitarisme. Alors quand la machine soviétique se referme sur lui, et qu'il sait que son tour est venu d'engorger les fosses communes du régime, il n'a plus qu'un objectif : non pas fuir, mais trouver le pardon. Il sera poursuivi par un homme malade, métaphore d'un système exsangue. De cette trajectoire tragique digne du grand roman russe, les réalisateurs tirent un portrait rude d'un monde absurde, des bassesses qu'il engendre et de la grâce qu'il semble interdire. Ca fait du bien par où ça cogne.

Annotation :

Punch, Drunk, Love. Deux lesbiennes looseuses montent un fight club dans l'espoir de choper les pom-pom girls de leur lycée. Trash, violent, absurde et décomplexé, le vent de fraîcheur qu'on attendait sur la comédie US.

Annotation :

A French Werewolf in Gascogne. L'Humanité mute vers l'animal : comme sa mère, le jeune Emile est atteint par cette étrange maladie métamorphe. Dans les forêts du sud-ouest, il va falloir se frayer un chemin à travers l'adolescence, le regard des autres, le fascisme ordinaire et l'acceptation de soi. C'est à un blockbuster-conte inédit dans le cinéma français que nous convie Thomas Cailley, un docteur Moreau revisité, qui compte sur son pouvoir d'envoûtement davantage que sur ses mécanismes de scénario, parfois un peu trop apparents.

Festival de Cannes 2023 - Un certain regard.