En l'honneur de tous les seins.


Sous ses aspects d'Ovni filmique déjanté, de conte moderne trash et insolent, le Bad Boy Bubby de Rolf de Heer cache, tant bien que mal, une invitation à la découverte et à l'émerveillement, une ode à la vie et à la tolérance. C'est sans doute l'aspect le plus étonnant du film, ce cœur chamallow qui perce derrière un maillage d'irrévérence, ce discours ouaté qui clôt un ramdam exubérant, cette conclusion naïve et sincère que l'on n'attend pas, surtout après un épilogue aussi cauchemardesque ! Si on voulait le résumer en quelques mots, on pourrait dire qu'il s'agit d'un conte déglingué qui nous rapporte le périple d'un déglingo, de sa naissance dans une fosse à purin jusqu'à son épanouissement avec femme, enfants et jardinet joliment agencé. Bad Boy Bubby n'est rien d'autre que cela au fond, un étrange road movie qui nous conduit joyeusement de l'enfer jusqu'au paradis, tout en fustigeant les tartuffes et les bien-pensants en chemin : la beauté, claironne-t-il, peut résider dans la laideur, tout comme un corniaud se promenant avec un chat momifié dans sa valise peut posséder des trésors de bonté.


Ce n'est pas un hasard si, dès la première image, l'objectif fixe longuement les yeux vides de Bubby comme pour y déceler une hypothétique lueur, un soupçon d'espoir auquel on pourrait s'accrocher afin de ne pas sombrer dans le désespoir le plus total. C'est son regard que la caméra adopte, c'est le point de vue d'un « enfant » de 35 ans que nous découvrons. Son monde n'est alors pas plus grand qu'un deux-pièces lugubre, il a la couleur poisseuse de la séquestration et l'odeur fétide des pires sévices : mutique, apathique, aboulique, il subit docilement les dogmes érigés par sa mère, déesse ou despote tout-puissant de son univers carcéral. Tour à tour pantin, petit chiot ou objet sexuel, il est l'humain dépossédé de toute substance. Son seul réconfort, être traité de "Good boy" lorsqu'il satisfait les élans pervers de sa génitrice ; son seul plaisir, tenir à pleine main les seins lourds de cette dernière. Malgré tout, notre zigoto a accès à la réflexion et c'est cela qui va le sauver. En doutant de la parole divine de sa mère, en remettant progressivement en cause l'étrange éducation qu'il a reçu, il va oser quitter le cachot familial - allusion évitante à la caverne de Platon - pour aller découvrir le monde extérieur et enfin forger sa personnalité. Seulement, son apprentissage sera d'autant plus difficile que ses repères sont troublés : sa morale est chancelante depuis son père, prêtre à mi-temps, a perdu toute crédibilité. Ses goûts personnels sont également à affiner, car ils se confondaient avec ceux de sa mère.


Cette première demi-heure, hautement oppressante, relève pour nous d'une véritable mise à l'épreuve, il faudra tenir, ne pas lâcher Bubby afin d'entrer en totale empathie avec lui. Le passage vers le monde extérieur est vécu comme une libération, le reste du film se transforme alors en expérience sensitive ! Il n'est pas question, pour nous, de suivre un simple road-movie, mais bel et bien de nous nicher dans le crâne d'un simple d'esprit afin d'observer le monde tel un nouveau-né. En adoptant un regard vierge de tout vécu, en épousant une conscience non polluée par des préceptes et des lois émanant de la société ou de la bonne morale, nous allons redécouvrir cet univers qui nous est si familier et qui va nous apparaitre sous un jour nouveau. Nous allons pouvoir, en même temps que notre héros, éprouver du dégoût envers les valeurs superficielles et l'hypocrisie ordinaire, tout comme nous allons redécouvrir les doux plaisirs de l'enfance.


Sur le plan auditif, le travail effectué est absolument fabuleux ! Grâce à un système sonore binaural, fixé à proximité des oreilles de N. Hope, nous allons percevoir les mêmes sons que le personnage : les chuchotements ou les cris, les bruits doux ou stridents, vont venir influencer notre perception du réel. Notre oreille redécouvre le joyeux tumulte de la vie citadine, appréciant ainsi d'autant plus le son mélodique, le son de la musique. Que ce soit des notes provenant d'un violoncelle ou d'une cornemuse, ou même un chant émanant d'une chorale de l'armée du salut, la musique va accompagner Bubby tout au long de son parcours, rythmant ses découvertes et ses rencontres. Et en trouvant une musique qui lui ressemble, le rock, il va également trouver sa place dans la société : il intègre un groupe et travail pour son public. Mais la musique à surtout une fonction cathartique en lui permettant d'accéder au langage et d'exprimer "sainement" ses angoisses.


Le visuel de Bad Boy Bubby va également marquer notre conscience, en retranscrivant avec force l'émerveillement et l'étonnement de notre bonhomme une fois sorti des jupons de sa mère. Toujours mué par le désir d'exalter la beauté de ce qui est communément considéré comme laid, Rolf de Heer va filmer les amoncellements métalliques, les ruelles poisseuses ou les bars enfumés, avec suffisamment de soin et d'attention pour en extraire une délicate poésie. L'utilisation d'une trentaine de chefs op va également concourir à donner au film son cachet si singulier. Mais c'est surtout le rapport au corps qui va influencer notre regard : c'est la sensualité d'une silhouette obèse qui est exaltée, c'est la beauté des grosses poitrines qui est célébrée, c'est le corps "brisé" d'une enfant handicapée psychomoteur qui brille soudainement de toute son humanité. La grande force du film réside là, dans sa capacité à honorer ceux que la société rejette habituellement : les obèses, les fous, les freaks, les handicapés...


Si on peut facilement reprocher au film quelques lourdeurs, notamment dans sa charge anticléricale, on ne peut que saluer son aisance à nous perturber, à nous questionner et à faire naître en nous les plus franches émotions.

Procol-Harum
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le 5 avr. 2022

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