La mort est divergeante selon Joachim Trier. Avec Isabelle Huppert, Gabriel Byrne.

Ceci n’est pas un film comme les autres, ceci est bien une expérience visuelle. Ce n’est pas le grand film de l’année, mais il s’agit tout de même d’une petite claque cinématographique (pour ma part) visionné fin novembre 2020 car enregistré sur Arte il y a de ça quelques années et donc vu au cinéma à sa sortie.


Petite parenthèse. Ou pas… !
Quand j’écris « vu au cinéma », j’ai l’impression d’appartenir à un dinosaure qui se dit qu’il appartient à une autre époque. Sans évoquer le contexte actuel de la culture, je ne peux m’empêcher de penser que le dernier film vu au cinéma avant la crise sanitaire date du 12/03/2020 (« L’homme invisible ». J’y suis retourné une fois fin juin pour aller voir « Monos », un film de guerre humaniste dans la jungle amazonienne).
Ça fait donc pratiquement 10 mois que je n’y suis plus retourné. 10 mois ! 10 mois que les cinémas sont pratiquement fermés. Il va donc s’écouler minimum 1 an avant que les cinémas rouvrent. S’ils rouvrent !
Je ne peux m’empêcher de penser aux cinémas aixois (d’Aix-en-Provence) dans lesquels j’avais l’habitude d’aller (en moyenne, une fois par mois). Un plaisir pour découvrir autant les derniers blockbusters (« Rampage », « Kong, skull island », « Terminator 6 »), les films d’aventures (« L’appel de la forêt »), que mes attentes (« Il était une fois à Hollywood », « Jojo Rabbit », « Le cas Richard Jewell », « 1917 », …).
Sans parler ni de politique, ni de crise, il me tarde de retrouver ce plaisir coupable que d’aller au cinéma ! …sans masque, car portant des lunettes, il m’est impossible de respirer sans avoir de la buée sur mes verres. Et donc la possibilité de ne pas apprécier à sa juste valeur les films sortants.
Revenir au cinéma est pour moi synonyme de liberté, de qualité de vie, de plaisir. Depuis ces 10 mois, en tant que cinéphile, le lieu « cinéma » résonne comme un lieu essentiel et un lieu d’évasion. Pour moi, c’est un besoin. Ces 10 mois m’ont fait prendre conscience de mes valeurs et que le cinéma en est une.
S’il existe différentes formes de cinéma, « aller au cinéma » est pour moi une liberté essentielle. Je suis aujourd’hui privé de cette liberté. Je continue aujourd’hui de vivre, mais sans cette liberté. Frustré, je suis et resterai jusqu’à la réouverture.
J’apprécierai ainsi d’autant plus ma sortie. Mon approche du cinéma. Rentrer au cinéma. Dire bonjour aux caissières. Prendre mon ticket. Payer. Me diriger vers la salle obscure. Choisir mon siège (ni trop en arrière, ni trop en avant). M’asseoir. Me décaler d’un siège (sur la droite ou la gauche) pour être en face de l’écran. Me rasseoir. Attendre les bandes annonces. La pub (qui permet le financement du cinéma). Les bandes-annonces. Et… le film. Sur grand écran. Générique. Film, générique de fin. Sortir du cinéma et respirer un grand coup. Réfléchir au film que je viens de voir.
J’espère que tout cela réapparaîtra en temps voulu car je ne peux me résoudre à ne plus jamais « aller au cinéma ». Ça fait partie de moi et je ne suis pas encore prêt à affronter cela.
Quand certains artistes disparaissent, je prends déjà un coup de vieux (l’année 2020 a particulièrement été chargée), alors je n’ose imaginer ma réaction pour la fermeture des cinémas. Pour moi, « aller au cinéma », c’est important. C’est ma fierté. Une de mes libertés. En un mot : ma propre vie.
Parenthèse terminée.


Présenté en compétition officielle cannoise en 2015, « Back Home » est le premier projet international pour Joachim Trier qui avait envisagé un premier titre à résonnance particulière avant sa sortie (« Plus fort que les bombes ») qui se situait avant les sombres attentats terroristes du Stade de France et du Bataclan (15/11/2015).


Synopsis : une exposition consacrée à une journaliste de guerre décédée dans un accident de la route va s’organiser. Son mari et ses deux fils se réunissent….. .


Les fantômes d’Isabelle Huppert prennent vie. Elle est les souvenirs des souvenirs. Sa vie, son métier (reporter de guerre) défilent. Les flashbacks dans lesquelles l’apprentie coiffeuse de « La dentelière » apparaît s’effilochent. Et pourtant nous maintiennent sous tension. La tête de l’incontournable fille tueuse de « Violette Nozière » de Chabrol, toujours en gros plan, sont marqués par les blessures de la vie. Les souvenirs de son métier. Les cicatrices qui pourtant restent bien ouvertes. Celle qui a joué avec John Malkovich (« Les lignes de Wellington »), de part sa stature, évoque une vie mâtinée d’espoir, de rédemption face aux atrocités qu’elle a prises en photo. Isabelle était dans cette quête de vérité face aux abominations de ce monde. Elle représente ici non seulement la mort mais aussi la vie. « Elle », pour Verhoeven, a cherché, non pas « La porte du paradis » de Cimino, mais bien une porte qui, lorsqu’on l’ouvre, soit réparatrice, rédemptrice. Derrière cette porte, le réalisateur Joachim Trier l’invite à une sorte de « Cérémonie » (film toujours de Chabrol) qui s’apparente à une forme d’« Amour ».


En comparaison, Gabriel Byrne est l’anti-Isabelle Huppert. Toujours aussi charismatique, il est la gueule cassée de « Back home ». Celui qui a obtenu son premier rôle grâce à John Boorman sur « Excalibur » est perdu dans ses souvenirs. Le passé… et le présent. Jusque dans ses rêves. Celui qui a joué avec Schwarzenegger dans « La fin des temps » ne sait pas où il en est. S’il doit dire la vérité ou l’omettre. Gabriel, caché dans cette « Forteresse noire » (pour Michael Mann), possède ce « Capital » costa-gavrassien empathie-sympathie dont on n’arrive à prendre la température. Il foule la terre de ces certitudes sans pour autant savoir vraiment si ces certitudes sont les siennes. Il veut continuer à avancer sans connaître la vérité sur Isabelle. Faut-il la ‘suspecter’ (comme l’aurait fait Kayser Sozé), ‘l’analyser’ (comme la série dans laquelle Byrne a joué) ou tout simplement faire abstraction d’Isabelle ?
Même si le D’Artagnan de « L’homme au masque de fer » sait toujours la vérité, Gabriel Byrne fait ici office d’un homme fêlé par la vie de Madame Huppert.


Le fils cadet d’Isabelle et de Gabriel est ici incarné par Devin Druid (personnage récurrent dans la série « 13 reasons why »). Ses fêlures d’adolescence sont vives. Une vie sépare Byrne de Druid. A travers les non-dits. Les regards. La souffrance. Pour Gabriel. Mais aussi pour Devin qui se réfugie dans les jeux vidéos, l’écriture. La souffrance de ne pas en parler. La souffrance de laisser le temps qui coule. Sa souffrance qui reste béante.


Un trio Huppert-Byrne-Druid au diapason sur les souffrances de la vie, de la mort et de la vérité. Une famille d’hommes éprouvé par la vie.
Avec également Jesse Eisenberg (le doubleur du perroquet Blu dans le lucratif « Rio », c’est lui !), le frère de Kevin Druid et David Strathairn (qui joue un second rôle mystérieux dans « L.A. confidential » du regretté Curtis Hanson) en gérant de l’exposition.


Je vais maintenant tenter de parler de l’ambiance. Mais pas de la musique. De l’ambiance générale. De la caméra (non cachée) de Joachim Trier. La vie du passé. L’anxiogénité et la ténacité du sujet. La vie, l’amour. Et la mort. Entre les deux, le souvenir. Les souvenirs d’Isabelle à travers les yeux brumeux de Byrne. A travers la jeunesse du duo Druid-Eisenberg. Duo qui forme la vie. Et la mort. A travers le regard bleu acier du père (Gabriel Byrne). Ce cheminement, de la vie et de la mort, s’enchevêtre dans les tourments du passé, avec une caméra si fluide de Joachim Trier qu’on ne peut s’empêcher de ne pas se prendre au jeu, ce jeu si particulier de la séduction. Homme-femme, femme homme, d’homme à homme. Un jeu vicieux. Celui de la vérité. Des non-dits. De la souffrance.
Ambiance malsaine pourtant magnifiquement portée par les collaborateurs fidèles de Joachim Trier depuis ses débuts :
- le directeur de la photographie Jakob Ihre
- le monteur Olivier Bugge Coutté
- le scénariste Eskil Vogt


J’ai parfois pensé aux « Choses de la vie » de Claude Sautet par la mise en ambiance et la mise en abîme du cinéaste norvégien par les thèmes qu’il brasse : la vie et ses fêlures, Isabelle Huppert en flashbacks, les non-dits, l’amour, la haine, la violence, différents conjugaux… .


Joachim Trier recherche, à travers son élégance, la vérité du monde et le temps perdu.
Sur le thème du deuil, sa mise en scène égrène passion, souffrance, déchirement… autant de sentiments enivrants que craintifs.
Si « Nouvelle donne », son premier long-métrage, lui ouvre les portes à l’international et le drame « Oslo, 31 août » confirme ses talents de metteur en scène, le réalisateur de « Thelma » prouve avec élégance que « Back Home » (2015), film sensible et profond sur le thème du deuil, est un drame humain violent sur les passions et les vérités aux apparences inavouées.
Petit chef d’œuvre.


Pour conclure, Joachim Trier dépeint une œuvre authentique, subtile et imaginative.


Spectateurs, souhaitez-vous connaître le futur ?

brunodinah
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le 10 janv. 2021

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