Manny a beau devoir ramener un éléphant à la soirée de son patron, le transporter depuis le désert et le long de collines escarpées, puis l'enfermer en attendant le top départ d'une fête insensée, il se plie et fait ce qu'on lui dit. Son patron est un producteur de cinéma. Son patron côtoie le tout Hollywood. Il fait Hollywood, et on ne dit pas non à Hollywood. Que la fête commence et nous entraîne sur les notes de démesure et d'orgie musicale. Personne ne filme la musique comme Chazelle : le rythme et la mélodie embarquent l'image. C'est peut-être la raison pour laquelle le cinéaste canadien a choisi de nous parler du passage du cinéma muet au parlant : cette époque où, pour la première fois, le son l'a emporté sur l'image. On passe peu à peu d'un monde débridé, libre, et superflu, où l'on pouvait se faire repérer en dansant sur un bar ou en mimant des pleurs, où les tournages s'accompagnaient d'orchestres symphoniques, où les fêtes accouchaient d'un éléphant ravageur et d'une pute shootée à la coke, à l'univers feutré du cinéma parlant, où l'ingé son régit (et bride) la création artistique, où les acteurs ne peuvent plus se permettre d'être coupés du monde, où les films oublient la pureté du rythme. Malheureusement Chazelle veut aussi nous parler de l'aspect destructeur du spectacle pour ses personnages. Et de la place de l'art dans la société. Tout ça est un peu foutraque, mais reste diablement efficace et entraînant. Et lorsqu'il finit avec Manny, son véritable personnage principal, ému aux larmes lors d'une projection de Chantons sous la pluie, la boucle de l'hommage au muet est bouclée. Le spectateur peut sourire avec la nostalgie de Manny en regardant une dernière fois en arrière et plonger, la tête la première, dans l'orgie du cinéma de demain.