La sensualité et la subtilité de la cocaïne

Bon déjà une chose est sûre (et pourtant je ne suis plus sûr de grand chose après ce visionnage), Babylon confirme une fois de plus qu’un film n’est pas résumable à “C’est bien” ou “C’est nul” (particulièrement quand il dure 3h10) et que les notes et autres commentaires par dessus la jambe ne représentent et reflètent pas grand chose. Voici ma conclusion sur ce nouveau cru de château Chazelle : Babylon m’a fait ressentir ce que j’imagine être la trajectoire émotionnelle d’un pur trip sous drogue. Au début, je trouvais ça bon et frais, j’étais convaincu. Plus on progressait, plus on avançait, et plus je commençait à avoir des doutes, à trouver ça lourd, peu subtil, en somme raté. Et une fois la sobriété retrouvée, j’en ressors mitigé positif. Comme un trip sous drogue quoi, ça rend heureux, c’est globalement bien, mais il y a sûrement des moyens plus sains et réussis pour avoir de l’émotion sur cette Terre (et dans ce média qu’est le cinéma).


Babylon porte la marque de son auteur, un auteur que j’avais tantôt envie de porter aux nues, et tantôt envie d’insulter. J’avais envie de le célébrer pour les qualités de son film : déjà premièrement son humour. J’ai cru que les genres associés à Babylon étaient “Drame” et “Historique”... Et au final le film n’est ni dramatique ni historique. Les situations sont tellement poussées au-delà des limites du réel que j’ai eu de sincères rires face à ce foutoir ridicule. Je n’ai pas pu m’empêcher de hausser les épaules de stupeur face à la manière dont sont présentés les plateaux de tournages au début du film, Brad Pitt a un perso plutôt très drôle notamment avec le running gag de ses femmes étrangères, et j’étais vraiment plié sur la scène avec l’espèce d’iceberg des soirées glauques mais en même temps pourries.

Sérieusement c’est quoi cette dinguerie ? Les mecs qui se retrouvent dans un espèce de donjon, l’ambiance encore plus flopesque qu’une soirée étudiante avec ses néons eco+ et ses 2-3 personnes en bondage à droite à gauche. J’ai trouvé incroyablement risible le fait que -probablement à cause des producteurs voulant éviter de faire fuir le grand public- il soit impossible d’avoir à l’écran des choses véritablement choquantes. C’est vraiment ça le summum de l’underground et du glauque ? Une cave avec 2 personnes qui baisent dedans ? Un alligator ? Un mec qui mange des souris (j’ai le rictus rien que d’y repenser). C’est formidablement kitsch, et donc drôle !


D’ailleurs la plus grande réussite de ce réalisateur et ce par quoi j’aurais dû commencer, c’est l’iconisation de ses acteurs. En fait Chazelle est quelqu’un qui sait extrêmement bien filmer les gens, c’est romantique (Lalaland), intense (j’imagine Whiplash mais j’ai pas encore vu…). Margot Robbie tient probablement là son plus grand film à ce jour (j’ai pas vu le loup de wall-street ou I tonya), elle paraît être la plus belle femme du monde lors de la première soirée, et sur tout le début du film d’ailleurs et merci le cinéma de pouvoir rendre les gens (et à mes yeux, les femmes !) aussi éclatants (mais bravo à eux pour leur jeu d’acteur aussi bien sûr). Brad Pitt que je trouve régulièrement vulgaire m’a ému en jouant ce vieux dépravé, largué, daron qui n’a plus le temps de niaiser dans un monde qu’il n’a jamais compris et dans lequel il n’a jamais vraiment été. Les scènes de danses sont superbes. Même si elle est ridicule tout du long j’ai cru à un soubresaut d’intensité dans la scène du tournage “Hello to college” quand j’ai vu ce type à lunette postillonner de rage sur l’objectif. Plus ou moins souvent, Chazelle à saisir du sublime et à capturer de l’authenticité sur sa pellicule, et quand ça marche, c’est jouissif.


Et je dis quand ça marche… car ce qui m’a rapidement fait râler sur le film, c’est que punaise mais on y croit pas ! Il faudrait que je renforce mon savoir sur l’histoire d’Hollywood mais vraiment, c’est pas ça ? On ne gagne et ne perd pas le statut de star comme ça par dessus la jambe, en un claquement de doigt ? Le cinéma muet n’était pas une période de débauche et de liberté qui a précédé une grande restriction et standardisation avec le parlant ? Les scènes dramatiques sont bien trop dramatiques et arrivent avec leurs énormes sabots,

personne ne fait de scandale hystérique au milieu d’un salon mondain [vomi digne de Triangle of Sadness d'ailleurs], personne ne se laisse crever de chaud dans un box de tournage, personne n’évite magiquement les balles en s’échappant d’un repère de gangster, aucun individu n’a un tel pouvoir dans la réalisation de son film, enfin il me semble, le cinéma est un énorme système et ne laisse pas de place à de telles déviances personnelles. M’enfin voilà je n’ai pas de connaissances approfondies sur ce que c’était vraiment à l’époque, peut être qu’en lisant le fameux “Hollywood Babylon” qui donne apparemment son titre au film je réaliserais le contraire, mais ça me paraît si peu crédible. Ha oui la side-story avec le trompettiste aussi… trop rapidement traité.


Je ne comprend pas la causalité du destin de ces personnages, leurs actions ne semblent pas aboutir à des conséquences logiques et le déroulé de cette histoire paraît artificiellement renforcé pour paraître plus brut, intense, fou et épileptique à grand renfort de mise en scène outrancière à la Requiem for a Dream. Et c’est dommage car on sent et on sait que Chazelle est capable de proposer des choses intéressantes esthétiquement, le mec à remis les plans séquences au goût du jour sur Lalaland, son éclairage et ses compositions sont souvent incroyables mais ici ça cut trop, on a pas le temps d’en profiter ! Et d’un côté je voudrais presque entendre l’argument magique à Silent Hill 2 “non mais en fait c’est normal que ce soit raté et désagréable comme ça…. c’est parce que c’est la drogue ! La déviance ! Les excès ! La folie !”. Et c’est vrai que malgré ce côté branlant et bien trop timidement outrancier la surcharge sensorielle est présente. Mais sur certaines scènes le film semble tellement te crier “Houuuu regarde comme je suis choquant ! Regarde comme je suis malaisant et extrême ! Tu te sens mal à l’aise ? Tu as des frissons ? Tu ne comprends pas ?”. Oui je ne comprends pas mais c’est normal si il n’y a rien à comprendre ! Le film a aussi cette caractéristique qui est de retracer une longue période de l’histoire du cinéma pour se donner une petite facette de fresque et mettre le spectateur en contact avec une loooongue période temporelle… Mais pourquoi les personnages semblent ne jamais vieillir ? Ne jamais évoluer ? En fait, ça me donne l’impression qu’ils ne vivent rien hors des scènes qui nous sont présentées. Pourquoi avoir mis le film spécifiquement dans la période de transition du muet au parlant à part pour faire une énième référence à Chantons sous la pluie ? J’ai du mal à croire que c’est la période la plus débauchée du cinéma. Pourquoi ne pas avoir pris plutôt la sexploitation ou un truc du genre ? Je voudrais bien qu’on m'indique les films muets des années 20 où des gourgandines à la Nellie Laroy danse sur des tables en se bourrant la gueule et en touchant le sexe de sexagénères (en écrivant ça je réalise vraiment le niveau de déconnexion…). Ce qui fait que quand à la fin Margot Robbie dit “La vie est une fête” pour se donner un côté ironique j’ai dû mal à y croire car je n’ai pas vraiment eu l’impression que le film me parlait de la vie, mais était plutôt dans ses délires persos !


Car jusqu’à la toute dernière scène je ne voyais vraiment pas où le film voulait en venir, en enchaînant ainsi les scènes réussies et ratées (je voulais mentionner la scène du début où Brad Pitt est en sous-vêtement sur son balcon et disserte sur pourquoi les gens vont au cinéma. Ca j’aime, ça ça me parle, donc pourquoi forcer un pseudo récit-destruction de la production d’Hollywood si on ne cherche pas à questionner celui de ses individus et de son public). Et en fait, je crois que Chazelle voulait (notamment) parler de la création de beauté au cinéma alors que notre monde est bien plus rude et terne. Et quoi qu'ait été le thème qu’il voulait traîter avec son film, il aurait gagné à rester bien plus concentré plutôt qu’éparpillé, bien qu’effectivement en employant ces mots je réalise qu’effectivement les émotions véhiculées au final sont celles d’une fête excessive…


En bref vous aurez compris, il est assez dur pour moi de mettre des mots sur Babylon, et c’est peut être pour ça que Chazelle a choisi de faire une fin un peu expérimentale. Je trouve la scène très réussie d’ailleurs, l’émotion passe parfaitement et l’expérience visuelle et sonore est folle, en fait c’est le point d’orgue du film pour moi. Damien Chazelle a vraiment réussi à mettre en image le choc que le cinéma peut nous faire ressentir (dixit Blade Runner "I've seen things you people wouldn't believe"), ce qui fait qu’il est à ce point important dans la vie de tant d’entre nous (scène qui gagne en pouvoir au fur et à mesure que vous avez augmenté votre cinéphilie d’ailleurs… merci Damien de m’avoir permis de voir même quelques secondes Un chien andalou et Weekend au Mérignac Ciné).


Babylon mérite probablement que vous preniez le temps d’y jeter un œil. Pour la beauté de Margot Robbie. Pour l’expérience mitigée d’un trip sous drogue. Pour une scène finale qui est une vraie lettre d’amour de jazzman cinéphile. Il faudrait presque que je le revois pour creuser mon avis (snif), pourtant c’est 3 heures (snif), pourtant beaucoup d’éléments m’ont énervé (snif), c’est donc ça de tomber accro aux drogues dures ? (tapotement du pied)


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Tomega
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le 26 janv. 2023

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le 26 janv. 2023

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