La vie est une fête… le cinéma aussi.

Pour l'amour de l'art

Babylon est un gros morceau. Pour son 4e film, Damien Chazelle bouscule et propose une longue expérience de cinéma : un mastodonte de 3h10, spectaculaire, onirique et chaotique… Le film est construit pour venir bousculer les petits spectateurs que nous sommes, bien lotis dans nos sièges, prêt à se faire bouffer par 3h de film. Que celui qui s’en sort indemne lève la main, car Babylon est aussi ambitieux que gourmand, et il va en bouffer plus d’un ! Pour sûr, les avis et critiques vont être sanglants, et les raisons de le détraquer seront aussi nombreuses et valables que celles qui en feront son éloge. Le film est fait pour diviser, faire réagir, débattre. Chazelle s’amuse à foutre le bordel, en proposant un film populaire et accessible, avec un casting et une histoire qui parle au plus grand nombre. Dans ce Hollywood des années 20 fantasmé (quoi que?) ou la fête, la drogue, l’alcool font corps et nourrissent le 7e art, les protagonistes du film entament une longue ascension vers leurs rêves de cinéma. C’est ainsi que dans une fête démesurée et mortelle de 20 minutes, tous s’embarquent dans la longue danse de 3h10 qui va les mener au sommet de l’affiche.

Ce qui surprend d’abord, c’est l’aspect potache du film. Que les plus sensibles soient prévenus, l’humour subtilement placé au ras de la ceinture, déverse ses flots de caca, pipi, vomis. La mise en scène est sans filtres. Surprenant quand on sait que Damien Chazelle est plutôt quelqu’un de sérieux… voire académique. Les scènes s'enchaînent et oscillent entre le génie, l’hilarant, le grotesque, le navet, l’affligeant… On est ballotté dans cette fresque incroyable et inégale, sans que l’on sache dire si l’on est en train d’assister à un énorme ratage… ou un pur chef d'œuvre. Chazelle sème un tel chaos dans son propre film que l’on ne fait plus très bien la différence entre ce qui relève du manque de goût… ou du pur génie. Car Babylon rend fou, à l’instar de la névrose qui s'empare de tous les personnages qui apparaissent dans le film. Aspirants acteurs, stars hollywoodiennes, techniciens… tous semblent être pris de folie dès qu’ils se retrouvent sur un plateau de tournage. Dans Babylon, le cinéma tue (littéralement) subtile métaphore pour mettre en image l’appétit d’une industrie et d’une époque ou les moyens étaient à la mesure de l’engouement et de la frénésie créatrice et financière de l’époque. Hollywood dévore tout, écrase et met à l’amende ceux qui ne suivent pas ses tendances ou qui ne courent pas aussi vite que lui. Dans cette course au succès et à la lumière, l’ombre guette, et ceux qui courent le plus rapidement au sommet de l’affiche ne sont pas garantis d’y rester éternellement. C’est la part sombre de Babylon, car Chazelle ne se contente pas de proposer un vaste hommage à l’histoire du cinéma, il à l’ambition de comprendre ceux qui le font vivre et ceux qui le portent pour créer, transmettre et faire vivre la longue histoire du cinéma. Il met en lumière les sacrifices nécessaires à la création d’un film, pour obtenir la scène, le son ou l’image parfaite… Pour autant, Babylon n’est pas un film torturé, il ne viendra pas vous décrocher de force des larmes de rire ou de tristesse, car l’autre grand protagoniste du film : c’est le spectateur lui-même. Car, sans spectateurs, pas de cinéma. Alors la caméra se braque sur “les gens” les protagonistes eux-mêmes deviennent ces petites ombres qui peuplent les salles et font vivre le cinéma. Et c’est là, massé dans la foule silencieuse, que la caméra capte les regards et les émotions du public. En une scène, le film fige l’importance du cinéma dans l’histoire de l’art et surtout son rôle principal : faire rêver les foules.

Regarder le cinéma d’hier pour mieux comprendre celui d’aujourd’hui

Et dès lors que l’effet miroir se met en place et que le film se met à regarder ses propres spectateurs et que l’on prend conscience que ce film, ces images, ces personnages, tout ce qui le compose a du sens et existe uniquement parce qu'il y a des gens pour le regarder. Moi, modeste spectateur qui se trouve dans une salle de cinéma ou derrière un plus petit écran, je fais exister l'œuvre. Alors ça parait bateau dit comme ça, mais là où la réflexion prend une tout autre dimension, c'est que Babylon met en valeur l'expérience de spectateur, mais surtout, il valorise l'expérience collective. Le film s'inscrit donc dans une réflexion très actuelle, ou l’existence de la salle de cinéma est remise en question à cause des multiples supports qui s’opposent à elle. Le film nous dit, si j'existe, c'est parce que vous êtes là, et regardez comme c'est bien d'être tous ensemble, de se marrer (de se demander ce qu'on fout là…?) Babylon est un “vrai” film de salle de cinéma, car il propose une expérience et il la met en perspective. Une personne qui verra Babylon chez elle ne profitera pas de ça, car le Cinéma est un art populaire, qu'il est fait pour être vu en grand, pour être apprécié dans le noir avec de parfaits inconnus (dit comme ça, c'est bizarre). Babylon remet du sens et du contexte au débat, et c'est fait avec une grande intelligence. Dommage que ce chef d'œuvre chaotique flirte un peu trop avec la prétention de son réalisateur, mais le cinéma, c'est de l'art et l'art a aussi besoin d'ego pour exister. Babylon n'en reste pas moins un chef d'œuvre, qui sera certainement autant mal aimé qu'adulé, mais il en restera au moins une chose : son intelligence et sa beauté (et Brad Pitt aussi).

pollly
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le 18 janv. 2023

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