Je ne vais pas critiquer ici ce film. John Huston restera à tout jamais le meilleur adaptateur-de-livres-réputés-inadaptables du XXe siècle. Si j'en cause ici et maintenant, c'est que je l'ai revu tout récemment, trente ans après sa sortie, donc. Or, la première fois, j'avais raté quelque chose d'important. L'explication était simple : il y a trente ans, je n'avais pas la même expérience du cinéma, et je n'avais pas vu des milliers de films, dont les grands classiques des années 20 et 30 (1900, je le précise pour les geeks nés après l'an 2000). Il y a trente ans, donc, j'avais trouvé que Jacqueline Bisset jouait... bizarrement. Que son jeu était un peu outré, à la limite du ridicule et de l'hystérie bon teint. A l'époque, cela m'avait agacé. Je ne comprenais pas comment on pouvait aimer une gourde pareille (même si sa beauté surpassait mon imagination pas encore débridée). Je ne comprenais pas non plus comment la même actrice pouvait si bien jouer la Tatiana/Christine du "Magnifique" et cette godiche de femme du Consul, pauvre petite chose sans idée ni intelligence.
Et puis, j'ai compris, là, en revoyant le film trente ans après. J'ai compris que Jacqueline Bisset joue le rôle d'Yvonne comme si celle-ci n'avait pour source d'inspiration que les héroïnes du cinéma muet, celles qui ont marqué son adolescence et ont forgé son caractère un peu vain, un peu vide de femme-potiche d'ambassadeur. Qu'en fait, elle les singe pour se donner l'illusion de vivre une vie intéressante, aventureuse, trépidante... C'est d'ailleurs pour cela que son escapade se termine et qu'elle revient à la maison ; elle n'a rien trouvé ailleurs, parce qu'il n'y a rien à trouver en elle-même. Elle est bien à la hauteur de son mari déchu, lui-même trop plein d'alcool pour se combler d'autre chose. Ils crèveront ensemble, d'ailleurs, mais l'un sans l'autre.
J'ai toujours apprécié Jacqueline Bisset, la seule actrice célèbre qui n'ait jamais ressenti l'obligation de se marier pour donner sa vie en pâture aux journaleux pipole. Même dans un rôle aussi mince que celui qu'elle tient dans "Voyage à deux", je la trouvais très bien. Un des rares autres exemples de détail chronologique poussé aussi loin que j'aie en tête, c'est Mathieu Amalric dans "J'ai vu tuer Ben Barka" ; il y fume ses Gauloises comme on les fumait dans les années 60, à la manière de Prévert et de Camus. Mais avec Jackie Bisset dans "Au-dessous du volcan", les frontières du talent et de la conscience professionnelle sont abattues, pulvérisées, réduites en charpie. Sublimées...
Chapeau !
alfredboudry
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le 20 juil. 2014

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Alfred Boudry

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