Athena
5.6
Athena

Film de Romain Gavras (2022)

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Oui Nathalie, « Ça va vite, ça va vite, ça va trop vite, ça va trop viiiiiite », et cela à deux niveaux.


En terme de cinéma tout d'abord car visiblement Romain Gavras a mal lu son petit "Assaut" illustré, il confond vitesse et action, opéra lyrique et lyrisme, il n'a pas compris qu'une détonation ne peut avoir d'effet de surprise, voire de sidération sur le spectateur si elle est noyée au milieu d'un déluge de bruit, il se contente de remplir l'espace du cadre pour faire illusion, il met des clips bout à bout pensant en faire un film, il pense que nous, spectateurs sommes encore assez crédules pour voir dans un plan-séquence un geste forcément puissant de mise en scène et que la médiocrité de réalisation sera cachée par les fumigènes. Bref le garçon n'a rien compris à la tragédie grecque, ni à la grammaire cinématographique, à ce qu'est une rupture de rythme, une distance, un point de vue, une mise sous tension. Sa façon de faire exister un personnage est par exemple édifiante, il pense qu'il suffit d'isoler celui-ci dans un collectif lui-même contenu dans un plan pour qu'il ait une réalité à nos yeux, que l'empathie nécessaire pour qu'il y ait adhésion s'obtient par la mise en service de notre cerveau reptilien. Je passe beaucoup de choses concernant la forme car ça prendrait la journée de citer tous les défauts en la matière.


Passons donc au discours, si on peut appeler ça ainsi, et là aussi ça va viiiiiite dans les petites têtes qui ont écrit ce scénario. Tellement vite qu'il semblerait que rien ne se fixe jamais, que le temps nécessaire à la réflexion n'ait jamais été pris, tout se mélange pour donner une bouillie idéologique au mieux incompréhensible, au pire dangereuse. L'invention est de taille, celle d'un centrisme extrémiste, où tout se vaut, où tout le monde est coupable puisque personne ne l'est, sauf celui qui permettra de se mettre à l'abri des attaques de l'interlocuteur-spectateur qui vous accusera d'avoir du caca dans la tête. Par ailleurs il est sidérant de constater que le groupuscule (Car là non plus l'individu n'existe pas, ce qui permet d'éviter toute nuance, terme maudit dorénavant) qui va servir de paravent au discours crasse est en réalité celui qui porte le mieux la vision des créateurs sur la population des cités. Vision réduite à des archétypes, plus proches d'ailleurs de l'animal répondant à son instinct primaire qu'à un être pensant. Sauvageons, islamistes, fiché S caucasien en djellaba revenu de Syrie, trafiquant "de tout" débitant plus de grossièretés à la minute que Mathilde Seigner. Non non je ne vous donne pas la recette du gloubi-boulga ni un extrait du dernier programme de campagne de Zemmour, tout est réellement dans le film.


Que dirait-on si c'était Cédric Jimenez, accusé de tous les maux alors que son "BAC Nord" (Un titre qui lui au moins ne nous prenait pas en traitre alors qu'avec d'autres on peut s'attendre à une publicité pour des slips) tenait plus du divertissement punchy que du brûlot politique, qui avait écrit ça ? Si l'acte d'un gars selon moi plus obsédé par le nombre d'entrées que par une soi-disant idéologie est grave, que doit-on dire de celui de personnes qui ont prétendu dépoussiérer le septième art français et qui ont créé des écoles pour que ceux qui ne sont a priori pas dans la bonne classe sociale puissent demain avoir eux aussi accès à la création cinématographique ? Je me vois écrire cela alors qu'à la base j'ai trouvé ces initiatives rafraichissantes et utiles, car même si comparaison n'est pas raison la Nouvelle Vague est née d'une volonté identique à celle du collectif Kourtrajmé. J'ai plutôt aimé ce qu'on tenté de faire précédemment Gavras ou encore Kim Chapiron, l'énergie qui émanait de leurs films et aussi le discours qu'il voulait véhiculer.


Alors que s'est-il passé ? Pour qu'on en soit arrivé là, pour qu'un gars comme Ladj Ly soit passé des "Misérables" à ça, que la citation de Victor Hugo, « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs », ait été ainsi dévoyée, pour qu'on voit des antagonistes comme des troupeaux mugissants, pour qu'on se prenne ainsi au sérieux et qu'un plan qui aurait été délicieux au second degré, celui d'un péplum survitaminé à la "300", soit en réalité du premier ?


Et pour que la schizophrénie soit ainsi contagieuse. Car oui c'est bien moi, celui qui reproche en permanence aux autres de ne plus parler que de morale et non de cinéma, de prêter aux artistes des intentions qu'ils n'ont pas, qui viens de faire de faire deux fois plus long sur le fond que sur la forme et d'accuser quelques-uns d'inconséquence. Peut-être que pour moi aussi ça va trop viiiiiiiiiiiite...

Créée

le 4 oct. 2022

Modifiée

le 3 oct. 2022

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takeshi29

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