Le titre m’évoquait ceux des deux derniers films d’Abdelatif Kechiche, cet aspect inachevé, ces promesses de retrouvailles. Certes Asako I peut représenter celle qui vit de passion pour Baku et Asako II celle qui s’est « rangée » avec Ryuhei mais la frontière est moins dichotomique, plus impénétrable, puisqu’il s’agit de double, que Baku ne disparaît finalement jamais et qu’au moment où c’est au tour de Ryuhei de sortir du récit, il ne disparaît pas non plus. On adorerait voir un Asako III tout en se disant que l’auteur nous l’offre brièvement dans cette dernière séquence devant la rivière. Un peu comme lorsque Kechiche filme Adèle se défaire d’Emma et aller de l’avant, déterminée. Qu’il y ait ou non un chapitre 3 importait peu là aussi. Il se range dans notre imagination.


 C’est un film très troublant, qui m’a souvent évoqué Rohmer tant son héroïne est pascalienne, au sens où l’était Félicie dans Conte d’hiver, plus qu’au sens où l’était Pierre dans Ma nuit chez Maud. S’il n’est jamais revendiqué, son émancipation passe par ce pari, qu’elle retrouvera un jour Baku. La différence c’est la pudeur, Asako reste opaque et pour ainsi dire quasi mutique, et donc n’est pas véritablement dans le pari, ne le revendique pas oralement, même si par petites touches, mais aussi parce qu’elle vit aux côtés du sosie de ce premier amour, qu’elle pense à lui, silencieusement, honteusement, peut-être même religieusement, chaque jour. Carapace qui se fêle complètement une fois qu’elle retrouve ce premier amour, pour choisir finalement, non sans un énième séisme intime, de le perdre à nouveau. C’est la scène de la plage dans Ma nuit chez Maud, sans enfants, certes, mais c’est tout comme : C’est le chat, qu’Hamaguchi filme avec une vraie passion (en train de jouer, dormir, se promener, regarder la caméra) qui fait office de vecteur de retrouvaille.
Au tout début, dans ce café, j’ai pensé à L’ami de mon amie, tant il est question de destin et de quatuor. Et d’un café. Il n’y a pas de jeu sur les couleurs vestimentaires mais Haroyu met en garde son amie, Asako : Baku va lui briser le cœur. Elle le sent, elle le sait. Son personnage n’est pas sans rappeler ceux des films de Rohmer, tout en aplomb et en certitude. Au contraire, Asako est un personnage qui pourrait se laisser guider par les signes, comme Delphine dans Le rayon vert : Il y a cette étrange trouée qui plane tout du long, à savoir qu’Asako est l’anagramme d’Osaka, la ville de son enfance et de son premier amour. Plus tard, dans un musée, tandis qu’Asako vient de rencontrer Ryuhei, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Baku, son amour déchu, disparu, c’est Vertigo que Ryusuke Hamaguchi cite volontiers et embrasse pleinement. On attend une longue errance, il offrira un long dialogue, qui tournera autour de l’interprétation d’une pièce de Tchekhov. Il y a toujours une surprise, un pas de côté, une rupture temporelle imposante (Une ellipse de deux ans ici, une autre de cinq un peu plus loin) dans ce film, qui le rend infiniment stimulant, de bout en bout.
C’est quoiqu’il en soit un très étonnant et passionnant portrait de femme, qui préfère se laisser porter par la vie plutôt que de la diriger, voguant au gré des minis secousses (explosions de pétards) ou grands tremblements (séisme de la région de Tohoku) qui l’entourent et la guident, tout en n’hésitant pas à prendre des décisions cruciales, dont celle de tomber amoureuse d’un garçon ressemblant à son premier amour mais aussi d’apporter son soutien aux victimes du tsunami. Si le film se ferme sur une rivière, ce n’est pas un hasard : C’est une menace à combattre. Les intempéries du désordre amoureux qu’un couple se doit d’affronter. Mais elle est aussi à leur image. Sale mais belle. On ne sort pas accablé d’une tempête, mais grandi. C’est ce qu’Asako, ce personnage si fragile, si passif semble nous dire dans ce dernier plan, aussi somptueux qu’il est inédit, puisqu’il offre un regard caméra à deux. Il faut absolument que je voie Senses.
JanosValuska
8
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le 24 avr. 2019

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JanosValuska

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