Excellent film et très belle surprise de l'année 2022. Ce pourrait être un film sur l'obstination. L'obstination d'Antoine et Olga à poursuivre leur travail de maraichage face à la haine de leurs voisins. L'obstination de leurs voisins à les haïr jusqu'au bout, parce qu'il faut parfois haïr pour se trouver un semblant d'appartenance.
Commencé comme une sorte de remake des "Chiens de paille" (on déteste Antoine et Olga parce qu'ils sont des étrangers à la terre qu'ils cultivent et à la langue du pays), le film suit brutalement un cours nouveau: celui de l'obstination à la vérité. Et cette obstination divise inéluctablement, aussi bien la mère et la fille, que la mère et ce village de Galice âpre et dur où on lui reproche d'être venue.
La force du film est de saisir à la manière d'une tragédie un irréconcialiable. Antoine et Olga ne pourront jamais "s'entendre", c'est-à -dire vivre ensemble avec ces voisins qui les haïssent (parce que c'est eux, parce que c'est nous"). Les uns, cultivés, éduqués, sans être des "bobos", comme il serait facile de les caricaturer, tentent d'appliquer leur savoir à leur travail, ce sont exactement des "sachant" comme il est de bon ton maintenant d'appeler ce genre de personnes. Les autres, les voisins, humiliés d'être encore des paysans, incapables de se vivre autrement ou de pouvoir tenter de faire autrement et ailleurs, se réfugient sur ce qu'ils possèdent : cette terre, où ils gardent l'avantage de l'antériorité et celui de ne pas y venir en étranger ; mais c'est tout. Parce que pour le reste, ils y réussissent moins bien et le malheur c'est que d'autres s'en aperçoivent. La terre appartient-elle à celui qui la travaille et la fait fructifier ? C'est là une des vraies questions du film.
Mais l'actualité de ce film, là ou il colle de façon contemporaine à la réalité, c'est dans ce fossé ouvert par la rancoeur entre ceux qui se vivent comme des ratés ou des déclassés et ceux qui en raison de leur éducation, mais aussi de leur peine et de leur obstination réussissent (un peu) là où les autres ruminent l'amertume de leur échec. Il est inutile de regarder jusqu'aux bases du trumpisme et de bien des populismes, la France des périphéries offre malheureusement des exemples quotidiens de ces sentiments de déclassement. Il est intéressant de noter que dans le film, Antoine et Olga ne "font pas la leçon" à leurs voisins, ne se glorifiant jamais de leurs éventuels succès, ni n'affirmant aucune condescendance : ils souhaitent simplement vivre en paix, une paix pourtant impossible dans ce contexte. Il n'y a pas là les bons et les méchants, il y juste ce fossé incomblable entre des personnes qui ne peuvent plus faire société : le monde dans lequel ils vivent n'est plus un monde commun. Il y a donc du monde en trop. Antoine et Olga parce qu'ils sont étrangers et acculturés, leur voisins paysans, parce qu'ils se sentent appartenir à un monde dans lequel les traditions dépassées demeurent incapables de les porter. Il est donc normal que la tragédie se mette en route et se conclue comme toutes les tragédies : par une mise à mort.
La fable mérite d'être méditée avant que nous ne basculions dans une tragédie générale qui prend la plupart du temps le chemin d'une dictature.