Avec son introduction, où l'esthétisme de la mise en scène de cette pratique visant à soumettre les chevaux, laisse un arrière goût amer, Rodrigo Sorogoyen donne le ton de la suite à venir. L'homme déterminé à asservir son environnement, le fait par la violence des échanges. Sorogoyen rappelle que l'Espagne excelle elle aussi dans la maltraitance animale, avec cette tradition, la moins connue, qu'est la Rapa das Bestas, qui vient rejoindre la triste liste des corridas et des Galgos pendus aux arbres.Hommes et femmes rompus à l'exercice, se jettent sur les chevaux, leur tordent le cou, les mettent à terre, leur marchent dessus et les blessent pour couper leur crinière et leur queue et où les chevaux eux-mêmes, se tuent les uns les autres dans la panique générale. Certains seront relâchés en montagne (la pure race des poneys galiciens), et auront bien du mal à se protéger des insectes, d'autres seront vendus, mis en enclos, ou destinés à être croisés pour leur viande.

Le réalisateur continue sur son portrait de la nature humaine et de la subjectivité des rapports, axant le récit sur un duel psychologique et on navigue à vue. Deux frères d'un côté, maîtres des lieux et dictateurs à leurs heures, au rêve d'une manne financière avorté par la décision de leurs voisins envahissants de ne pas installer d'éolienne et ce couple fraîchement installé dans la culture bio, convaincu de la nécessité de conserver un environnement vierge et de tout main-mise des lobbys et s'échinant à rendre vivables des ruines dont tous s'acharnent à leur expliquer la fatuité de leur bonne volonté.

Sorogoyen maîtrise bien souvent les premières parties de ses intrigues, use de son ellipse habituelle et de son changement de direction par une coupure franche, parfaitement réussie. Reste donc que la première partie sera celle qui nous séduira le plus par une tension allant crescendo et un suspense rendu par des actes du quotidien qui ici frôlent le thriller horrifique.

Avec le harcèlement qui découle de leur communication biaisée, on perçoit toute l'angoisse grandissante d'Antoine (Denis Ménochet) qui n'aura pas la force de sa carrure, face à un seul homme, le moins commode des deux frères, Xan qui aura l'oreille fine et la répartie cinglante. Si Lorenzo (Diego Anido) excelle dans un flottement continu et une violence sourde, c'est bien le jeu puissant, d'une fluidité et d'une aisance phénoménale, de Luis Zahera qui saisit. Il rend à son personnage tout sa complexité qui nous fera regretter de voir où cela nous mène. Flou des échanges et dialogues de sourds sont parfaitement gérés par Sorogoyen, qui passe des uns aux autres à égale partition, pour des regards qui suffisent amplement à donner quelques frissons.

S'attachant à enfermer ses personnages, au bar du village, où la sortie semble difficile d'accès, à la maison où les ombres des intrus se dessinent sur les vitres, ou dans la voiture, maigre rempart contre l'agression, c'est aussi une grande tension lors des différentes scènes récurrentes avec leur chien qui vient souligner que l'espace extérieur est également source de danger.

Sorogoyen joue de sa caméra, de ses décors bucoliques pour les uns, à la gestion du fumier et aux soirées arrosées pour les autres, aptes à déclencher les frustrations et les violences. Par un effet miroir le cinéaste vient rappeler à la scène d'introduction presque en silence, qui viendra boucler la boucle et nous laisse sur le carreau à la fois par la grande facilité d'exécution que par son propre effet d'étouffement.

La seconde partie vouée au drame plus intimiste, donne la place aux femmes. Assez maladroite voire appuyée pour Olga (Marina Foïs égale à elle-même) qui se verra investie d'une terrible mission, la tension a laissé place à une querelle familiale poussive entre Olga et sa fille (Marie Colomb peu convaincante). Et c'est avec la même maladresse, que l'on entend son monologue à destination de la voisine, pour tenter de nous faire adhérer à l'idée de l'importance du dialogue féminin face à la sauvagerie des hommes.

Si le réalisateur en oublie ce qu'il est advenu de ces fameuses éoliennes objet de tant de débat et de drame, reste une dénonciation entre ceux qui sont les oubliés de la société et ceux qui voudraient bien s'oublier ailleurs. Sorogoyen ne laisse que peu de place à l'espoir d'une bonne cohabitation, concentrant sur son microcosme un parfait échantillon d'une société qui, en terme d'individu, ne sait plus se mobiliser ensemble.

limma
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le 21 nov. 2022

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